La gratuité de l'humanité {PV : Jonathan}

Une fois l'adresse de notre fameux médecin humaniste obtenue, Célestin se préparait pour s'y rendre… Et c'est avec une certaine appréhension qu'il marchait dans les rues… Pas qu'il avait spécifiquement peur des médecins mais, il n'en avait pas eu un depuis longtemps, il ne voulait pas qu'il lui dise qu'il ne pouvait pas travailler, et surtout, même s'il lui donnait des médicaments il ne pourrait pas les payer. Ni les soins, d'ailleurs. Il ne voulait pas mentir à Luxis en disant que le médecin l'avait examiné et qu'il allait bien, déjà, ce n'était pas son genre, et il le saurait de toute façon s'ils étaient amis… Et puis il ne s'était jamais promené avec autant d'argent sur lui. Quand il n'avait rien on avait tendance à le voler, mais quand il avait quelques pièces... Il n'imaginait même pas...

Ses pas le menaient doucement vers l'Université, zone qu'il avait peu fréquentée, et tout en bougeant il s'interrogeait sur le type de personne que devait être ce médecin, s'il était ami avec Luxis, quelqu'un de plutôt… spécial et compétent… et très cher, certainement bien plus que le médecin de famille dont il ne pouvait plus se payer les services depuis longtemps…

Saisissant son propre bras gauche de sa main droite, en montant les escaliers le petit eu le souffle court. Autant du stress que de l'effort. Son estomac gargouillait un peu. Il n'avait plus l'habitude de manger autant d'un coup, et même s'il avait un peu mal au ventre, il quémandait toujours de la nourriture… Il pouvait néanmoins se sentir un peu moins faible, un pic de force… Il se laissa tousser quelques instants avant de se reprendre.

Entrant dans ce lieu de savoir, suivant les indications et les flèches, demandant sa route à certains étudiants on lui indiqua sans mal les laboratoires pour qu'il puisse trouver sur une porte le lieu de consultation du Docteur Jonathan Grüber. Pendant quelques minutes Célestin restait planté devant la porte, hésitant. Il y avait quelques personnes qui venaient consulter alors, patiemment, Célestin se posa et attendait jusqu'à ce que cela soit son tour. Les gens n'étaient pas en grande forme et c'était une chance qu'il ait toujours ce masque, pour lui comme pour les autres.

Dès qu'il vint le chercher, Célestin se dépêcha d'entrer. Il ne s'assit cependant pas. Selon lui, ce n'était pas nécessaire… Il s'inclina légèrement.

« Bon… Bonjour… » A nouveau, il se triturait les doigts. « Je… Je suis désolé de vous déranger, je viens de la part de Luxis Reise, je suis son nouvel employé… Il m'a demandé de venir pour une consultation... »

Triturant ses doigts, il s'inquiétait de ce qui allait se passer pendant l'auscultation...

En cette fin d’après-midi, c’est le dix-huitième patient que Jonathan raccompagne docilement jusqu’à la porte. En ces temps d’épidémie, les consultations quotidiennes ont doublé voire triplé selon ses disponibilités. Le docteur ne se laisse pas un temps d’accalmie. Il doit trouver un vaccin, un remède, c’est un leitmotiv qu’il s’efforce, sans cesse, de se répéter. C’est épuisant, il sent la pression s’accroître sur ses épaules. Heureusement qu’il garde contact avec ces personnes malades. Qu’il voit leurs souffrances s’alléger. Ce n’est peut-être rien, ce n’est qu’un sourire entre deux quintes de toux, c’est une main qui serre la sienne, c’est un regard qui s’unit au sien. Cette sympathie, cette reconnaissance, sont d’agréables réconforts. Face à tous ses efforts, on lui offre de la patience, de la tolérance, des aides inespérées se proposent, comme un gamin qui va apporter le traitement à une voisine, un milicien qui se rend à son domicile pour lui demander quelques conseils pour se protéger de l’épidémie, c’est un aristocrate qui paye les soins d’une femme pauvre… En ces temps de misère et de désespoir, Jonathan s’efforce de ne voir que la résurgence de cette humanité si souillée, il s’efforce de ne voir que les actes de bonté, bien qu’ils soient peut-être entâchés d’intensions plus sournoises. Il ne veut pas se dire que le gamin va voir la vieille pour voler le peu d’argent qu’elle garde dans un coffre sous son lit, que le milicien ne pense qu’à aller casser la tête de pauvres erres dans des rues mal fréquentées, que l’aristocrate ne souhaite que s’assurer un moment de plaisir avec une femme en bon état physique. Non, le bon docteur se met des œillères, car voir le mal en cet instant, ce serait rajouter de nombreux cadavres sur son dos déjà lourd de personnes qu’il n’a pas pu sauver. Ce serait des fautes qu’il assumerait alors qu’il n’a aucune responsabilité dans les actes éhontés de ces gens envers lesquels il a offert tout naturellement son temps et sa confiance.

Quand il passe la porte, ses yeux retombent sur une chevelure blanche – un jeune homme qui, déjà, s’avance. Jonathan a la vision d’un de ces pauvres chiens battus, abandonnés, qui s’approchent en quête d’une caresse, d’un peu de nourriture à récupérer, mais prêts à reculer au moindre geste brusque… Jonathan ne bouge pas, sa main est paisiblement posée sur la poignée de la porte, l’autre invite le jeune homme à s’approcher. Quand Célestin accepte, Jonathan prend prudemment sa main dans la sienne pour la lui serrer. Son autre main se referme tendrement sur leurs mains nouées, alors que son pouce longe en douceur ses doigts pour l’apaiser. Il remarque le masque, il s’étonne mais s’en rassure à la fois. A croire que ses conseils commencent enfin à franchir les frontières de l’Université et que l’on pense à se protéger !

_ Bonjour, jeune homme. Entrez, installez-vous…

Jonathan s’écarte d’un pas et le laisse pénétrer dans son bureau. Quand l’on passe la porte, on entre dans une grande pièce chaleureuse. Sur la droite, un miroir en pied, une porte laissant voir une salle d’examen soigneusement désinfectée, on ne devine qu’un paravent dissimulant une table d’examen, des armoires réfrigérées, de nombreux éviers, un plan de travail où se trouvent des fioles en verre de toute taille. Sur la gauche, une grande bibliothèque sépare le bureau et le lit de Jonathan, dissimulé dans l’angle d’un mur, derrière les étagères lourdes de livres, tellement de livres qu’ils s’accumulent en tas par terre. La salle où Jonathan reçoit directement ses patients est une pièce très vaste. En face de la porte se trouve un bureau en vieux bois, quelques chaises, et au-delà, de grandes fenêtres dont les vitraux orangés permettent à une chaleureuse lumière d’éclairer les lieux.

_ Luxis Reise… ? Oh. Je vois. Asseyez-vous, je vous prie… Il ne me semble pas que nous ayons déjà eu l’occasion de nous rencontrer. Nous allons tout d’abord prendre le temps de discuter avant de nous pencher sur l’examen, qu’en dîtes-vous ? Je me nomme Jonathan Grüber, comment puis-je vous nommer ? Quel âge avez-vous ? Quel est votre emploi actuel ?

Jonathan offre au jeune homme un sourire, alors qu’il s’installe en face de lui. Ses mains abîmées, protégées de mitaines, récupèrent avec aisance de grandes feuilles à carreaux, qu’il repose face à eux. Il récupère sa plume et commence à écrire les réponses données par le jeune inconnu. Pour tous ses patients, Jonathan tient un dossier. Des dossiers qui manquent de faire s’écrouler la bibliothèque qu’il a fait installer derrière son bureau.

_ Comment vous sentez-vous, actuellement ? Présentez-vous des symptômes qui vous aient alerté récemment ? Je vois que vous portez un masque, est-ce pour vous protéger ?

Les questions fusent, comme à son habitude. Jonathan est un bavard, lorsqu’il s’agit d’assumer son rôle de médecin.

Timidement, le jeune Célestin vint donc s’asseoir sur le siège qui était destiné au patient, observant les lieux sans trop osé, un peu farouche. L’endroit avait l’air plutôt chaleureux, c’était différent de son médecin de famille dont le cabinet était bien plus froid qu’ici. Pour autant, bien que cela le rassurait, ce n’était pas pour ça que le blandinet se sentait plus à l’aise dans un tel lieux. En tout cas le médecin avait l’air sympathique et qu’il ne veuille pas tout de suite rentrer dans le vif du sujet était plutôt surprenant. Il avait pourtant beaucoup de patients mais il prenait tout de même le temps avec chacun d’entre eux, du moins, il en avait l’air.

« Oh.. Euhm, comme vous voulez… Et je m’appelle Célestin… » Quand il n’en avait pas besoin, il ne préférait pas donner son nom de famille, d’autant qu’il allait noter les informations. Il espérait juste que le médecin ne le lui demanderait pas. « J’ai 22 ans et je viens d’être embauché chez Luxis Reise comme aide, notamment pour le ménage et les repas. »

Le médecin avait l’air plutôt souriant, ce qui le surprenait, même si son précédent docteur n’était pas désagréable, il n’avait pas le même comportement. Haa, Célestin n’aimait pas vraiment les questions qu’on lui posait, ce qui prouvait qu’il faisait bien son travail car s’intéressait à sa santé…

« Je me sens mieux… Un peu fatigué... Il y a trois mois j’ai eu une bronchite… Enfin je crois… J’ai beaucoup toussé, j’avais de la fièvre, mal ici » Il pointa sa poitrine et ses cotes. « Mais depuis ça va mieux, même si je tousse encore… Le masque, c’est Maitre Luxis qui me l’a donné pour éviter que je ne le contamine… »

Dans les faits, Célestin ne se doutait pas qu’il était atteint par l’épidémie, même si cela était logique étant donné qu’il était fragile à ce moment et qu’il vivait à la rue…

« Oh et… Enfin vous l’avez certainement vu… Je suis atteint d’albinisme… »

Célestin se gratta la tête, il ne voulait pas apprendre son métier à ce monsieur et le vexer, il devait certainement l’avoir vu… Il se triturait encore un peu les doigts, regardant par ci par là mais pas vraiment dans les yeux du docteur… Par simple habitude. Il ne voulait pas qu’il lui dise qu’il était inapte au travail.

Célestin.

Le nom s’écrit avec élégance, soigneusement tracé par sa pointe usée. L’encre fatigue, elle aussi, il faudra bientôt penser à la remplir. Le reste des informations confiées par le jeune homme s’enchaînent, elles sont rangées par catégories, les antécédents d’un côté, encadrés, de l’autre, l’état actuel de son jeune patient, daté en ce jour. Jonathan redresse les yeux et invite poliment le jeune homme à le suivre dans la pièce suivante pour l’inviter à se peser. Un petit froncement de sourcils trahit la naissance de sa préoccupation. Les symptômes, malheureusement, ne peuvent qu’évoquer l’épidémie. Luxis Reise, aussi fou soit il, a eu l’intelligence de confier un masque à son précieux serviteur. Plongé dans ses pensées, il en oublie de parler alors qu’il ouvre les armoires, pour récupérer quelques fioles. Il soupire : les matières premières qu’il emploie pour la concoction de ses médicaments s’épuisent plus vite que lui… Il frotte songeusement sa nuque. Il en aura assez pour ce jeune garçon, heureusement. Ses yeux bleus reviennent sur le garçon, à qui il offre un sourire.

_ J’enverrai un courrier pour votre maître… Vous êtes en capacité de travailler, mais il est primordial que vous conserviez le masque, ainsi que vous preniez soin de votre santé. Votre poids est vraiment très faible, il serait bénéfique que vous puissiez vous épaissir un peu. J’apprécierai vous faire une prise de sang, mais vous devriez être à jeun… pourrez-vous revenir demain à l’aube ? En attendant, je vais vous confier un traitement basique, vous devrez le prendre matin et soir pour limiter vos quintes de toux. Quant à la fièvre… Disons que si elle vous gêne, si vous sentez qu’elle vous épuise, vous prendrez ces gélules, pas plus de 3 par jour, avec de l’eau. Les douleurs que vous ressentez sont probablement les courbatures, à force de tousser vous comprenez… Ca use vos muscles intercostaux, ceux entourant votre diaphragme… Enfin ce ne sont que des détails anatomiques. Le masque limite les risques de contamination, d’ailleurs, lavez-vous les mains si vous servez ou préparez le repas, ou si vous devez entrer en contact direct avec votre maître, des invités, ainsi de suite… Je crains que vous ne soyez atteint de l’épidémie, comme de bien nombreuses personnes ici, mais si nous prenons ensemble les mesures de sécurité nécessaires, tout devrait bien se dérouler. Je vous remercie d’être venu me consulter, c’est un acte d’une grande sagesse et d’une réelle responsabilité.

L’albinisme est une donnée rare et combien même n’est-ce pas la source même de cette visite aujourd’hui, Jonathan ne peut totalement ignorer ce fait. Ce serait contre son professionnalisme d’écarter toutes les possibles sources de mal-être, combien même a-t-il des centaines d’urgence à gérer. Il est primordial d’accorder à chacun le temps dont ils ont besoin… Pour s’assurer de ne pas passer à côté d’un mal non identifié ou naïvement négligé.

_ Comment vont vos yeux ? Je sais que Luxis Reise peut avoir tendance à apprécier les éclairages prononcés… N’hésitez pas à lui proposer davantage de pénombre, afin de soulager votre vision. De quand date votre dernier contrôle ? Puis-je me permettre de… d’y jeter un œil, sans mauvais jeux de mots ? Qu’en est-il de votre derme, avez-vous quelques lésions cutanées ? Votre derme doit être particulièrement fragile face aux rayons du soleil… J’ai crainte que votre maître ne vous quémande des courses à l’extérieur, vous devriez prendre cette crème et l’appliquer sur votre derme pour vous préserver lorsque vous sortez, comme aujourd’hui…

Jonathan se lève de nouveau, il récupère une pommade qu’il pose près de lui. L’albinisme… Il ne l’a jamais observé, jusqu’à présent, mais combien de livres a-t-il lu à ce sujet ?.. Après moult réflexions, bien trop peu à son avis. Un soupir consterné s’arrache de ses lèvres rongées et il baisse nerveusement les prunelles, alors qu’il se perd dans ses réflexions. Dans son palais mental, il parcourt les couloirs, il cherche les tranches des livres qu’il a pu lire par le passé. Albinisme… Une cause encore non identifiée. Qu’en est-il des conséquences sur la santé ? Il se souvient des problèmes oculaires, des problèmes dermiques… Mais les organes sont-ils concernés, ne parle-t-on pas de faiblesse cardiaque, d’anémie, d’os fragiles ou d’articulations à surveiller ? Il ne sait plus, est-ce la fatigue, l’âge ou l’inquiétude qui brouillent ses connaissances ?

Le réaliser serre son cœur, il craint une erreur de sa part, il se doit de surveiller son langage.

Docile, Célestin suivait le docteur vers une machine qu’il n’avait jamais vraiment apprécié : la balance. Elle n’indiquait jamais le bon poids pour lui. Une chose basique dans quasiment toutes ses consultations, mais qui s’était bien trop accentuée depuis qu’il n’avait plus de toit : un mètre soixante et quarante-cinq kilos. C’est en jetant un coup d’œil timide au médecin qu’il peut voir qu’il a l’ai préoccupé. Il le laisse aller dans ses armoires sans bouger et sans déranger, écoutant ce qu’il avait à lui dire.

Et ce qu’il dit ne peut que le rassurer.

Il est en état de travailler.
Même s’il est atteint de l’épidémie.

Peu importe le reste à présent, il ne va pas le déclarer inapte et c’était tout ce qu’il attendait de cette visite même si tout conseil médical et médicaments sont bons à prendre pour améliorer son état de santé. Ses traits ne pouvaient s’empêcher de se détendre un peu. Il sait très bien qu’il est trop maigre, qu’il doit faire attention lorsqu’il prépare à manger, qu’il doit éviter les contacts physiques. Il comprenait aussi bien les explications du médecin et y apportait une certaine importance, Célestin a toujours aimé savoir et apprendre diverses choses. Quand il le remercia, sa pâleur ne pouvait qu’afficher quelques rougeurs, ce n’était pas de son fait, il n’avait pas à être remercié. Si Luxis Reise ne le lui avait pas dit, il ne serait jamais venu, n’ayant aucunement les moyens.

« Je… C’est moi qui vous remercie, je ferai attention à ne contaminer personne… Et, oui, je peux revenir demain, avant le travail… »

Ce n’était pas les premières prises de sang qu’il faisait alors cela ne l’inquiétait pas vraiment, c’était juste un peu embêtant de devoir repasser. Et il savait qu’il se sentirait fatigué après….

Il lui parla ensuite naturellement de son albinisme. A cela, le médecin le questionna sans attendre, semblant réellement s’inquiéter pour sa santé et des conséquences de sa pathologies.

« Me.. Mes yeux vont bien. J’ai des lunettes correctrices teintées et je les mets dès qu’il y a un peu trop de lumière pour moi… Je ne porte jamais d’habits courts, et j’ai des gants, alors je n’ai pas vraiment de lésion. Mon dernier contrôle date d’il y a trois ans. Et oui, vous pouvez regarder. »

Célestin savait très bien qu’il aurait du faire contrôler plus tôt, mais comme un grand nombre de malade, l’argent lui fait défaut. Ses yeux n’ont pas beaucoup de lésions, montrant qu’il met fréquemment ses lunettes. Sa peau n’est pas non plus trop amochée, étant toujours en manche longue, si le médecin le lui demande, il peut se déshabiller.

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