Un coup à la porte puis un coup dans la poire monsieur ? pv Gaël

Les combats clandestins avaient lieu depuis bien longtemps. Ils faisaient partie de la vie souterraine de Draümbell comme l’eau qui serpentait dans ses égoûts. Et Ulric, cet homme qui était, selon les dires de quelques gens, un exemple de réussite, y trouvait là un moyen de passer le temps mais surtout de se trouver des adversaires. Il était bien difficile d’organiser des combats en ville, même lorsque l’on détenait la Forge et ne manquait de rien. Ce n’était pas quelque chose de bien vue, surtout si ces combats n’avaient rien d’innocents. Car ce que cherchait cet homme ce n’était pas la pure beauté du sport mais le plaisir des combats, le danger. Et c’était dans les milieux obscurs que se trouvaient les véritables adversaires, ceux qui n’hésitaient pas à frapper,  à tuer éventuellement. Ainsi, parfois, il descendait dans l’arène, testait les combattants et certains, lorsqu’il avait été assez impressionné, se voyaient inviter à d’autres jeux, plus privés, sans publics. Il en avait ainsi découvert un, un combattant qui ne lui était pas totalement étranger et pour cause, il servait dans la ville Haute. Il s’était donc entendu avec lui pour qu’ils se retrouvent, au crépuscule, pour une séance d’entraînement. Ils apprendraient peut être de nouvelles choses, qui sait ?

Ulric avait donc préparé sa salle d’armes, prévoyant armes blanches et eau, puis il avait fait savoir à ses serviteurs qu’il attendait un invité et qu’ils ne devraient les déranger sans un bon prétexte.  Il avait ensuite erré dans sa demeure, passant de pièces en pièces, se demandant s’il ne serait pas temps de revoir la décoration. Il ne l’avait jamais changé, ou si peu que. Ce lieu, décoré sobrement mais avec élégance, était aussi figé que lui. Il n’avançait plus, comme s’il avait atteint son paroxysme. Etait-ce là ce qu’il désirait ? Se contentait-il de sa situation ? Ne devrait-il pas ajouter un tableau à ce mur ? Une touche de couleur à son existence ? Ces combats qui le distrayait quelques heures, qui lui permettait de garder la main n’étaient-ils pas l’expression de son désenchantement de la vie, de son manque d’ambition ? Il y était attaché comme un drogué à sa dose de Sélidoine.

Un valet vint le prévenir qu’un homme était là, pour lui. C’était, sans doute, son invité. Ulric chassa donc de ses pensées ses questionnements et retrouvant le visage du Maître de la Forge que tous connaissait, alla à sa rencontre. Il ne lui ferait voir que le hall, un couloir et une salle vide de toute décoration où ils s’affronteraient et échangeraient sans doute quelques mots, car l’un et l’autre aurait des interrogations, des doutes sur l’autre. C’était presque certain.

« Soyez le bienvenu. » dit Ulric en descendant les marches qui menaient du hall vers les étages supérieures, posant le regard sur un homme presque aussi jeune que lui. Le valet de l’héritier et le Maître de la Forge, deux êtres qui n’avaient rien à faire dans les milieux clandestins et s’y rendaient pourtant pour leur plaisir personnel. C’était là quelque chose d’amusant. Comme quoi, les gens respectables ne l’étaient pas toujours.

« Si vous voulez bien… » fit Ulric en lui faisant signe de le suivre vers la salle d’armes, prêt à répondre aux questions les moins délicates. Avec celui-là, il aurait sans doute mieux fait de faire venir un médecin, ou employer un ancien médecin comme serviteur. Il ne l’avait pas fait.

Ce serviteur, qui avait, outre le mérite de servir l’un des plus grands et des plus volages habitant de Draümbell, était un combattant respectable, et sans doute une personne intelligente. Il fallait bien cela pour se faufiler au milieu des nobles, sans les déranger, sans les vexer. Ulric devrait donc prendre garde à ce qu’il lui dirait, et montrerait. Qui sait ce qu’il pourrait raconter ? Il était déjà bien difficile de faire garder le silence sur certains sujets à ses propres serviteurs pour qu’il ait à s’inquiéter de ces autres « invités ». Car après tout, l’on était tous invités en sa demeure, même si vous aviez le plus joli des minois et la plus vicieuse des âmes.

Une fois dans la salle d’arme, Ulric le laissa apprécier les lieux et les quelques armes disposées là, au cas où. L’homme en était-il amateur ou considérait-il les armes longues comme un encombrement ? Ce n’était pas une question aisée à amener mais s’il devait répondre au second avis, Ulric sourirait simplement en disant que tout dépendait de l’usage escompté. Un poignard pour assassiner, une épée ou une hache pour décapiter… Evidemment, contre un fusil, l’intérêt se retrouvait vite réduit mais peu de gens avaient des armes très évoluées chez eux.

Et en un seul geste et une question, le valet chuta légèrement dans l’estime d’Ulric. Fumer avant un effort physique ? Vraiment ? En soit, il s’en moquait que l’homme se ruine la santé mais de ce qu’il savait, ça n’aidait pas.

« Faîtes. » un mot et rien de plus. Qu’ajouter de toute façon ? Il ne l’avait pas fait venir pour lui inculquer ses principes mais pour profiter de ses talents martiaux.

« Vous menez ces combats depuis longtemps ? » demanda le De Clèves, espérant ainsi obtenir une idée plus précise de l’expérience de ce partenaire occasionnel. Lui-même s’y rendait depuis de nombreuses années, chose qu’il n’aurait sans doute pas fait très longtemps s’il avait choisi une voie plus proche des vœux de son père, telle la milice. Il y aurait certainement fait une belle carrière, mais il avait trouvé la chose trop simple, trop commune. Il avait voulu se distinguer de ses frères et sœurs, et montrer qu’il n’était pas un chien. Mais n’était-il pas, à la réflexion, un chien sans maître aimant mordre ?

« Je me suis toujours demandé ce qui vous attirez dans ces combats. Les bons combattants y sont rares. La plupart ne saurait même pas tenir un couteau correctement. »

Ulric écouta la réponse, sans que son visage ne trahisse aucune émotion. Il n’avait l’air ni amusé, ni surpris. Ce gars était un bagarreur aux airs désinvoltes, comme bien d’autres.

« J’ai appris il y a longtemps. Mais ces divertissements ne remontent à guère plus d’une dizaine d’années. »

Il avait répondu avec le même calme, comme s’il ne se souciait pas d’évoquer ses activités illégales là où il y avait toujours un risque d’être entendu. Mais, depuis qu’il exerçait, ses serviteurs avaient tous, jusque-là, compris qu’il n’était pas dans leur intérêt de le contrarier et ses invités n’avaient que rarement l’idée de discuter de la chose avec n’importe qui, de peur de finir au trou également. Mais cette question, à laquelle il avait amplement répondu, n’était qu’une parmi toutes celles que Gaël devait se poser sur lui. Toutefois il ne se montrerait pas imprudent en se livrant à des bavardages. Il ne pouvait pas être imprudent. Il devait jouer de façon intelligente, jusque dans la forme de ses questions, qui lui offraient des réponses sur son adversaire de combat.

Il était intéressant de savoir qu’il ne cherchait pas le raffinement, mais cela il l’avait déjà compris. La beauté du geste, qu’Ulric regardait comme un simple spectacle et n’usait que pour la frime, lorsqu’il était certain de ne rien risquer, n’était pour le valet que futilité. La seule chose qu’il désirait c’était l’excitation du combat, l’incertitude de la victoire. Ils étaient donc aussi semblables que différents.

« Excitant… Ce n’est pas le mot que je choisirai. Mais je comprends l’idée. ». Il comprenait que l’on apprécie et appréciait lui-même le plaisir du combat mais, s’il lui arrivait de montrer sa joie sauvage, il faisait tout pour garder l’esprit clair, ne pas se laisser emporter dans le tourbillon de sa rage. Ainsi, il pouvait rester prudent, et s’assurer de sortir victorieux. Bien sûr, il lui était arrivé de perdre, occasionnellement, mais c’était normal. La défaite faisait partie du jeu et parfois il était plus intéressant de perdre que de gagner une bataille.

« Nous pourrons commencer quand vous serez prêt. J’ai préparé quelques armes courtes, si jamais il vous prenait l’envie de vouloir vous y exercer. » annonça-t-il, jugeant que la cigarette serait bientôt terminé.

Enfin ils passaient à la seule et unique raison de leur entrevue. L’affrontement amical allait enfin pouvoir chasser ces banalités échangées. Les rares informations obtenues étaient suffisantes pour satisfaire la curiosité d’Ulric quant à son adversaire, et il savait qu’il n’en obtiendrait guère plus de ce valet. Il ne risquait pas de lui livrer les secrets de la noblesse, de la famille régente. Alors il passa une bande de tissu autour de ses poings, n’ayant pas plus envie que l’autre de s’abîmer les mains. Toutefois il garda vêtement et chaussure. L’habit et la gêne qu’il provoquait faisait partie du jeu à ses yeux ; Gaël pouvait bien se mettre aussi à l’aise qu’il le souhaitait, que cela ne lui ferait pas changé d’avis. Il serait plus libre de ses mouvements, sans doute mais l’avantage obtenu restait risible, d’autant qu’Ulric portait des habits prévus pour un maximum de liberté de mouvements.

Il attendit que son adversaire soit en place, et n’annonce qu’il soit prêt pour porter le premier coup, sec et rapide, directement vers le ventre. Il ne prévenait jamais, même par politesse lors des entraînements.

Aussitôt l’attaque portée, il se remit en position, prêt à encaisser et à répondre de toute sa masse. Ici, il ne cherchait pas à faire démonstration de techniques comme il pouvait le faire avec une lame. Ce n’était qu’une discussion avec les poings, une danse des corps qui pouvait faire perdre de bonnes dents, fendre des lèvres ou des nez, briser des côtes et vous envoyez chez le médecin ou le fossoyeur aussi aisément qu’un bain d’acide pouvait dissoudre un corps. C’était un combat plaisant, parfait. Ils n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre, pour s’apprécier. C’était un affrontement passionné, libre de règles. La victoire n’était pas décrétée par une cloche ; ce serait une reddition ou un K.O. de l’un ou de l’autre. Ils pouvaient satisfaire leur soif d’adrénaline et de violence sans les bruits des arènes.

Le premier coup avait touché directement. Gaël n’avait pas esquivé, soit qu’il avait décidé de l’encaisser, soit qu’il en avait été incapable. Ulric ne perdit pas une seule seconde à se gargariser de cette première frappe. Le nombre de coups portés n’avaient aucune importance tant que l’adversaire était encore debout. Et puis presque aussitôt le valet frappait, tentant une feinte vers l’abdomen, qu’Ulric s’apprêta à bloquer avant de réaliser son erreur, remarquant que l’attention de son adversaire était portée vers le haut, vers sa tête. Il aurait pu faire un simple pas en arrière pour s’éviter une vive douleur mais le temps de réfléchir à ce pas et de le mettre en action, il était déjà trop tard. Il ne vacilla pas, même si pendant un instant il n’était plus réellement conscient. Il était sonné et ses gestes tenaient plus à l’instinct qu’autre chose. Le deuxième coup manqua de lui briser la mâchoire et, pour le pire ou le meilleur, le réveilla complètement. Avec celui-ci, il n’avait pas à se retenir.

Gaël se recula mais le Maître de la Forge avança aussitôt, tout en portant un coup du gauche, féroce et rapide, au ventre puis d’enchaîner par un crochet du droit, l’atteignant en pleine tempe. La plupart de ses adversaires s’écrouler alors, mais il espérait bien que ce ne serait pas le cas cette fois. L’intérêt d’un entraînement n’était pas de gagner le plus vite mais de parfaire ses coups, affiner les gestes. Sinon tout ceci ne serait qu’une perte de temps, ou un passetemps d’un être ennuyé de presque tout.

Et sans plus attendre il frappa de nouveau, alternant entre les coups au torse ou au visage, faisant en sorte de ne pas adopter un rythme trop prévisible. Et, lorsqu’il le fallait, il se défendait, parant ou esquivant, ne restant que peu en place.

Toutefois, à force d’encaisser et donner des coups, Ulric devait bien reconnaître qu’il fatiguait. Et ces derniers temps cela arrivait de plus en plus rapidement. Il ne s’était pas vraiment occupé de sa santé depuis un certain temps mais il était obligé de reconnaître l’évidence : il allait devoir se trouver un médecin, le plus doué de préférence. Il profita donc de quelques secondes pour souffler, se contentant de quelques pas pour ne pas recevoir plus de coups que nécessaires, avant de se relancer dans la bataille, compensant sa fatigue par l’adrénaline et la fureur de se voir affaibli, même légèrement. Il laissait tout juste le temps à l’autre de se reprendre, et se reposer à peine, pourtant conscient que cela signifierait une fin plus rapide, un combat plus court. Mais ce n’était pas plus mal, il détestait lorsque cela trainait trop en longueur, même lors d’un exercice.