C'est l'heure de tout Gagacher !

Les jours passaient, les uns après les autres, heures après heures dans une routine à l’arrière goût amère. Les choses avaient fini par reprendre leur place en même temps que le maître de la maison avait retrouvé une routine de vie normale. Cela avait bien évidemment rassuré tout le monde de le voir retrouver son naturel, même si le retour au rythme de travail quotidien avait été un peu rude pour certain. Parce qu’évidemment, le repos avait induit un certain retard sur les activités du ministre, ce dernier n’avait plus une seconde à lui. A se demander si le contre coup du repos n’était pas plus néfaste, au final.

Nishiki avait observé tout ceci d’un œil lointain. Il n’était pas assez remis pour complètement reprendre sa place – et il ne le serait pas avant encore un moment - et il se contentait donc de passer son temps à gérer tout l’administratif de la maison et à aider ses collègues à organiser les journées de leur employeur, insistant pour qu’il soit toujours accompagné dans ses sorties. Ça avait au moins le mérite de garder sa jambe le plus immobile possible. D’autant plus que le fait de se montrer actif, même en tant que simple gestionnaire, aidait ses collègues, notamment les deux petits jeunes, à ne pas trop s’inquiéter non plus, ce qui arrangeait bien tout le monde. Il fallut bien quelques jours pour s’adapter à son inactivité, mais au final, tout se passa plutôt bien. Un peu trop, peut-être.

Et puis, un beau matin une petite dizaine de jours plus tard, sans prévenir, il avait reçu des nouvelles de ses anciens compagnons et camarades du Chabanais, qui l’invitait à une petite soirée en ville. Il avait tout d’abord hésité à décliner mais… Pourquoi pas, finalement ? La perspective de sortir était loin d’être déplaisante vu comment il avait l’impression de tourner comme un lion en cage en permanence. Et puis sa jambe… S’il faisait attention, il n’y avait pas de raisons que les choses tournent mal… n’est-ce pas ?
Il avait donc patiemment attendu la fin de la soirée pour attraper ses affaires et se rendre en ville, prenant soin de ne croiser personne – pas la peine de les inquiéter. Pas de vêtements de travail pour ce soir, juste un blouson, une chemise simple, le vent froid dans les cheveux qui lui tira un frisson à ses premiers pas dehors… Inhabituel… Une preuve de plus de sa fatigue… Rien de bien important.

La soirée fut… sympa. Revoir des vieilles têtes, écouter les commérages sur celles qui n’avaient pas pu se déplacer, rire un bon coup… Enfin... Voir les autres rire de bon cœur, voir que tout le monde avait l’air de s’en sortir et que ce qu’il avait fait n’avait pas complètement servi à lui lui faisait du bien, en un sens. Il se laissa même entraîné, au grand plaisir de tout le monde, à… boire une bière. Messieurs dames, Nishiki qui boit une bière, ils avaient du voir ça deux fois dans leur vie. Ça se fêtait. Il avait beau ne pas aimer ça, si ça pouvait les faire rire… ça n’était pas perdu.

Mais comme tout descente après un shoot, tout bon moment fini par arriver avec une cruauté subtile. La soirée laissa place à la nuit et tous finirent par partir les uns après les autres. Premier arrivé, dernier parti… mais ses amis avaient l’habitude après tout et ça ne surprit réellement personne, même si aujourd’hui il voulait surtout leur éviter de le voir marcher. Il se retrouva donc seul à la table, une seconde bouteille de bière à moitié entamée, incapable de se décider sur quoi faire, maintenant. Il n’avait pas le cœur à retourner dans la ville haute – à quoi bon ? -… Il pouvait toujours retourner chez lui, se retrouver un peu seul, mais dans tous les cas, il devrait reprendre le chemin du domaine demain matin… Mais il n’allait quand même pas resté ici toute la nuit… si ?

La soirée était assez tranquille et Gaël n'avait rien de prévu ce soir là. Il aurait dû être dans la zone souterraine pour quelques combats mais il s'était ravisé car simplement, il avait une grosse flemme de se battre. Et puis bon il connaissait déjà l'issue des combats : il en sortirait vainqueur. C'était si rare les fois ou il perdait que les affrontements n'étaient même plus marrants lui donnaient moins d'adrénaline. Et le manque d'adrénaline commençait à se faire ressentir.

Il décida d'occuper sa soirée à se saouler car c'était un passe-temps très appréciable après tout et il n'y avait pas de raison pour se fendre la gueule. Mais qu'elle ne fut pas sa surprise lorsqu'il vit au bar un visage connu. Jamais de sa vie il ne se serait attendu à y voir Nishiki... presque vautré comme un vieux sans vie. Il faisait peine à voir et sa tristesse était visible à des kilomètres. C'était assez irritant pour Gaël, sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi. Nishiki avait toujours été un homme fort capable de tout affronter, de tout supporter et encaissé, mais depuis la mort d'Elena, son ex valet n'était presque plus rien. Il s'enfonçait petit à petit dans un déprime totalement chiante.

Bien sur Gaël aurait pu ne pas s'en soucier et le laisser la, à regarder le vide avec sa bouteille de bière à moitié pleine encore - quel gâchis. Mais ce qui était encore plus un gâchis, c'était qu'un homme comme Nishiki, qu'une personnalité aussi forte que lui se laisse totalement aller. Bon et bien, appelez le Grand Samaritain, mais Gaël n'allait pas le laisser comme ça, car ça faisait vraiment pitié. Sauf que bon, clairement, il n'était pas du genre à poser son bras sur l'épaule et à dire des mots réconfortant. Pour aider quelqu'un, il fallait le booster. Pour retrouver l'ancien Nishiki et bien il fallait le confronter à ses démons.

« Salut beauté, tu m'offres un verre ? » Un sourire insolent plaquait sur la gueule, et voilà que Gaël était arrivé comme un prince en se laissant tomber sur la chaise à côté de Nishiki et lui avait prit sa bière, la sifflant d'une traite.

Il devrait exister un dictons pour dire que, quand une journée et un peu moins pourries que les quinze précédentes, il va forcément se passer un truc pour la faire revenir au même stade. Shiki aurait pu en rester là, à ce bon souvenir avec ses amis. Il était d’ailleurs resté là, sur sa chaise de bar, physiquement parlant. Même si son esprit était loin, lui, perdu dans ce monde dans lequel il se refermait doucement.
Si quelqu’un lui avait dit que ce soir, la chose qui viendrait finir de pourrir la journée serait Gaël, il aurait peut-être reconsidéré la chose. Malheureusement, personne n’avait la bonté de voir dans le futur – ou du moins, de venir lui faire le plaisir de lui éviter cette petite rencontre dont il se serait bien passé.

Sa seule voix suffit à le ramener de son observation profonde du mur en face de lui. Mais contrairement à d’habitude, ses muscles ne se crispèrent pas, son visage ne se ferma pas. Il n’avait même plus la force de se donner cette peine. L’éclairage du bar arrangeait un peu sa peau encore trop blanche sans réussir à faire quoi que ce soit pour les poches sous ses yeux et l’apathie de ses prunelles grises. Il se contenta d’un coup d’oeil bref, comme pour s’assurer que c’était bien le chieur auquel il pensait qui venait le chercher jusque dans les bars avant de reporter son attention devant lui. C’était une punition assez ironique, en y pensant.

- Qu’est-ce que tu veux ?

Pas d’agressivité, même pas une curiosité sincère. Il ne râla pas en le laissant prendre la bière qu’il n’aurait de toute façon pas fini, encore moins avec lui venant s’installer à ses côté. Amusant comme sa simple présence lui rappelait les douloureux évènements de leurs dernières rencontre alors même qu’il avait passé la soirée à tenter sans y parvenir de faire croire que tout allait bien.

Aucune réaction de la part de Nishiki. C'était comme de s'adresser à un fantôme. Lui qui avait était quelqu'un, maintenant il n'était plus personne. Et ça énervé assez Gaël qui trouvait que c'était un véritable gâchis. Et surtout Nishiki passait pour un faible à ses yeux, incapable de se motiver et de se battre pour aller de l'avant. Et en parlant de sa battre, Gaël pensait bien qu'un bon coup dans la gueule pourrait peut-être remettre les idées au claire à Nishiki, ou au moins le faire réagir. « T'as toujours été aussi chiant ? ...  » Oui, la réponse était oui. Mais bon, c'était pas la même chianteur qu'à l'époque.

Gaël se leva en s'étirant, faisant exprès de venir taper sa main dans la bière qu'il n'avait pas entièrement terminée, il en restait seulement un fond et celle-ci se renversa sur le pantalon de Nishiki. Bien-sûr il ne s'excusait pas. Il était la pour faire sortir Nishiki de ses gongs, pour qu'il le tape peut-être. N'importe quoi qui pourrait faire réagir le valet du ministre.

« Tu devrais faire nettoyer ça. D'ailleurs, j'attends toujours que tu nettoies ma veste que j'ai salis en venant secourir ton patron. » Un petit sourire insolent, encore une fois. Il se disait que Nishiki devait se sentir nul à chier de ne pas être en mesure de protéger son patron, tout comme il n'avait pas été en mesure de protéger Elena.

Et donc, pourquoi ne pas jouer sur ça ? Autant en rajouter. Et puis il fallait l'avouer, d'un certain côté ça amusé beaucoup Gaël. « D'ailleurs comment il va ? Sa tête, ça va ? Au moins il l'a toujours sur les épaules. »

Avait-il toujours été aussi chiant ? Il aurait eu tendance à répondre que oui, au moins au regard de la personne qui lui posait la question. Après tout, n’était-ce pas pour ça qu’il venait toujours le chercher ? Mais oui, il devait être chiant. Ça expliquait sans doute beaucoup de choses, quand il y repensait avec cette perspective. Il croisa les bras sur la table pour s’y appuyer avec un soupir sans répondre à sa question, ce qui n’aurait de toute façon servi à rien.
Et, pendant un instant, il avait bien cru que ça avait fonctionné.
Il le regarda se lever… Et renverser la bouteille. Il la regarda tomber elle aussi, avec une acceptation silencieuse et sans le moindre mouvement pour l’arrêter. Le fond de bière de la bouteille imbiba rapidement le tissu de sa jambe gauche, lui laissant une sensation de froid désagréable et inhabituelle. Heureusement qu’il n’était pas en tenue de travail, il avait déjà foutu en l’air beaucoup trop de costumes ces dernières semaines. Au moins, ça faisait le bonheur d’une de ses sœurs.

Il finit néanmoins par attraper la bouteille avec un geste calme avant qu’elle ne tombe par terre et ne s’éclate au sol. Gaël avait l’air en forme ce soir, vu ses paroles… Quelle belle preuve de maturité il venait encore lui offrir. Venir remuer un couteau qu’il savait douloureux juste sous son nez… A croire qu’il était venu juste pour ça. Et le pire c’était que ça fonctionnait. Ça n’était pourtant pas le premier, mais certaines leçons sont dures à apprendre. Mot après mot, il enfonçait la lame un peu plus loin dans ce qui était désormais bien trop grand pour être encore qualifier de gouffre.

Ouais il s‘était foiré. Deux fois. Et même s’il continuer à essayer de faire de son mieux, à s’efforcer d’y arriver, il n’avait aucun doute sur le fait qu’il continuerait à se foirer. Pourquoi le futur serait-il différent alors qu’il avait déjà donné tout ce qu’il avait ?

- Si c’est des remerciements que tu veux, les voila : merci Gaël. Tu nous as sauvé, t’es le meilleur. c’est bon, ça te suffit ? Il me semble bien que t’en as reçu de tout le monde

Oh oui il savait bien qu’il était venu, même s’il n’avait appris sa convocation qu’après qu’elle ne soit partie. Il avait prit soin de ne pas le croiser, ce qui n’était pas bien compliqué avec l’état de sa jambe à ce moment là. Même aujourd’hui, venir jusqu’ici avait été bien plus éreintant qu’il ne l’aurait pensé.

C'était pire qu'il le pensait. Même avec des piques de très mauvais gout, Nishiki ne réagissait pas. Et pire : il le remerciait. Et au passage Gaël notait la petite irritation qu'avait Nishiki lorsqu'il évoqua que Lüwen aussi avait remercier ce héros qu'était Gaël. Un héros oui, rien que ça.

Bon et bien si les paroles même assez cruelles ne fonctionnaient pas sur lui, Gaël avait bien d'autres moyens de le faire réagir. Super, lui qui avait laissé tomber les combats clandestins pour ce soir, voilà qu'il allait pousser Nishiki à lui taper sur la tronche. Mais bon, il n'avait pas trop le choix. Enfin si, clairement il avait le choix de laisser Nishiki à ses tourments et sa dépression et aller faire sa vie tranquillement dans ce bar et se fendre la gueule. Mais n'oublions pas que sous ses airs de sombre connard, Gaël n'avait pas un mauvais fond. Et laisser son ex collègue dans un état aussi pitoyable le faisait gerber.

Voilà, c'était parti. Gaël posa sa main sur le dossier de la chaise sur laquelle Nishiki était installé, et il pencha son visage prêt de celui-ci, avec un sourire totalement insolent. « J'aurai du être là quand ta Elena s'est faite couper sa petite tête de bourgeoise. J'aurais peut-être pu la sauver, moi. » De suite après avoir parlé, Gaël attrapa le cole de chemise de Nishiki pour le soulever un peu de sa chaise et le pousser contre la table. Mon dieu qu'il était mou à cet instant, un vrai mollusque. « Comment ça va se passer pour la suite ? Imagine que ce soit l'une de tes charmantes sœurettes qui se fassent... couic-couic. Tu feras quoi hein ? T'es plus rien. » Cette fois-ci plus de sourire sur la gueule de Gaël. Mais un regard sérieux. Oh, il sentait qu'il allait rapidement se prendre une baigne, voire plusieurs.

Mais bon, au moins ça ferait surement réagir Nishiki, et de se défouler lui ferait du bien et le sortirait de cet état léthargique.

Une couteau, puis un autre. Elena, puis ses sœurs… Ses entrailles se tordirent à l’intérieur de son estomac. Comme s’il n’y avait pas déjà pensé. Comme s’il ne s’était pas déjà posé mille et une questions sur ce qu’il pourrait faire. Comme s’il n’avait pas cauchemardé des dizaines et des dizaines de fois du cadavre de ses sœurs ayant remplacé celui de son amie. La même infamie, la même horreur glaçante en revoyant ce corps décapitée. Un arrière-goût de bile empli sa gorge.

Lorsque Gaël l’attrapa par sa chemise, le forçant à se remettre debout, il eut le réflexe de s’appuyer sur sa jambe valide avant de se retrouver contre la table sur laquelle il vint prendre appuie. Que voulait Gaël au juste ? Passer du bon temps sur son dos ? Quelle noblesse d’âme. Il trouvait ça pitoyable. Une étincelle d’irritation et de mécontentement passa néanmoins dans son regard. Juste une petite seconde, petit flash qui vint éclairer le gris perdu de ses prunelles. Il redressa la tête, son regard venant soutenir celui de l’autre valet pour la première fois de la soirée.

- Bien sûr, toi tu peux sauver tout le monde… Tu arrives encore à laisser Lukàs seul ? Qui sait, il finira peut-être par coucher avec la mauvaise personne… Je suis sûr que le spectacle te plairait.

Il avait sifflé ces paroles avec le même venins qu’il s’infligeait lui-même, mauvais, profond. Il attrapa le poignet de Gaël et le força à le lâcher avant qu’il ne se remette debout. Il ne devait pas rentrer dans son jeu il le savait, il n’avait pas envie de se battre – il n’avait plus d’envie tout court, au fond. Mais il n’avait plus assez de ressources en lui pour se montrer patient. D’un geste du bras un peu brusque, il repoussa Gaël avant de récupérer son blouson posé sur sa chaise.  

- Fous moi la paix, Gaël.

Il avait au moins résolu un de ses dilemmes de la soirée : Nishiki n’allait sûrement pas resté ici.

Ha, des paroles tranchantes et dures. Voilà, au moins une petite réaction ! C'était mieux que rien, et Gaël savait que Nishiki pouvait faire mieux que ça. Mais le fait qu'il souhaite se montrer blessant dans ses propos était une bonne chose en soit, cela prouvé qu'au fond, il y avait encore quelqu'un en Nishiki. Bien-sûr les paroles ne ravirent pas Gaël. Imaginer qu'il puisse arriver du mal à Lukàs lui était impensable, et il prenait d'ailleurs beaucoup de précautions pour éviter un accident. Il avait depuis peu recruté un petit voleur, en échange de quelques entraînements, qui s'assurait de venir lui susurrer à l'oreille des agissements suspects contre l'héritier. Par chance pour le moment, rien à l'horizon.

Pour seule réponse, Nishiki obtenait un sourire désinvolte de la part de Gaël. Oh que non, il n'allait pas lui foutre la paix et loin de la même. Déjà se servir de Lukàs comme moyen d'énerver Gaël était vraiment très efficace et en prime de toute façon son but était de faire réagir Nishiki, pour qu'il redevienne lui-même, ou du moins qu'il arrête d'être ce gros dépressif.

Lorsque Nishiki poussa Gaël pour reprendre son manteau et partir, celui-ci ne l'entendait pas de cette oreille. Il attrapa l'épaule de Nishiki pour le retourner vers lui et paf, d'un coup Nishiki se prit un gros coup de poing dans la gueule. Gaël était fort en combat, très doué même. Il savait contrôler sa force et ses coups alors il l'avait frappé assez fort pour lui faire mal, mais trop doucement pour qu'il se casse quelque chose. Mais en tout cas une chose était certaine : la joue de Nishiki devenait assez rouge. « Même pas capable d'esquiver des coups. Tu m'étonnes que t'as pas pu aider ton ministre. »

Bon Gaël attendait le retours de revers. Il n'était pas dupe, il sentait bien qu'il allait en prendre pour son grade et se faire péter la gueule. Et il ne broncherait pas, il ne tenterait même pas d'esquiver les coups que Nishiki pourrait lui porter. Il le laisserait simplement se soulager de sa haine et de sa rage, de sa tristesse aussi. En bon punching-ball humain, Gaël encaisserait.

Le coup le prit par surprise. La douleur irradia d’un coup sur le côté droit de son visage et il tituba en arrière, se rattrapant maladroitement à la table avec un râle de douleur. Il cligna des yeux plusieurs fois pour essayer de remettre sa vision dans le bon sens, le sang battant violemment à ses tempes au même rythme qu’une douleur lancinante qui lui traversait la cuisse. Un goût ferreux envahit sa bouche et il s’essaya le nez d’un revers de bras, la teintant d’un rouge écarlate. Son regard se releva vers Gaël, presque choqué. Ils ne s’étaient jamais bien entendu mais jamais encore l’un ou l’autre n’en était venu aux poings et il n’aurait pas pensé un jour qu’ils dépasseraient cette limite.

Et pourtant les voila, perdu au milieu d’un bar en plein de milieu de la nuit, à se tabasser parce que… Parce que quoi, en fait ? Parce qu’il avait osé parler mal de Lukàs ? Un sourire amer et victorieux étira légèrement ses lèvres. Qui était pire que l’autre en fin de compte ?

- Tu peux dire ce que tu veux, t’es pas mieux que moi. Qui le protège quand tu finis tabassé dans les caniveaux ? A moins que ça non plus t’en ai rien à foutre, qu’il puisse crever, finalement.

Finit le langage poli et les bonnes manières, les belles phrases soutenues et tout ce qui allait avec. Il se releva tant bien que mal en se massant la mâchoire. La tête lui tournait. Franchement, il était pas en état pour ce genre de conneries. A nouveau, il ramassa son blouson tombé au sol avec un petit reniflement. Il prit malgré tout soin de garder une distance de sécurité avec un interlocuteur, au cas où ce dernier se remettrait dans l’idée de vouloir le frapper, vu que ça avait l’air de l’éclater.

- C’est bon, maintenant qu’on s’est insulté mutuellement, j’ai fais ta soirée ?

Gaël fronça les sourcils. Parler de Lukàs l'énervait beaucoup, surtout depuis que les deux commençaient à ne plus se comprendre. Gaël pourrait donner sa vie pour protéger celle de l'héritier. Mais le plus douloureux dans les paroles de Nishiki était qu'il y avait une part de vérité. Depuis un mois, depuis ce soir là où Lukàs s'était montré craintif et méfiant, Gaël perdait un peu les pédales lui aussi. Il se battait de plus en plus, il avait besoin de se défouler, de sentir l'adrénaline en lui. Et tout ça faisait qu'il se sentait de plus en plus faible physiquement à cause de toutes les blessures, à cause de cette putain de maladie qui se propageait doucement en lui.

Il voulait faire réagir Nishiki, mais il voulait aussi se faire réagir lui même. Oh non, il était loin d'avoir fini. Il voulait se défouler et... d'une certaine façon, faire payer Nishiki. Gaël avait toujours eu ce petit respect inavoué envers lui, et il en voulait à Nishiki de ne pas avoir su protéger Elena. Non pas qu'il était triste qu'elle soit morte, il s'en foutait un peu. Mais Nishiki était un bon protecteur, un bon valet et un bon ami pour elle. Et si même lui n'avait pas su protéger Elena... alors est-ce que Gaël pourrait lui, protéger Lukàs ?

« Va chier ! » Il s'approcha d'un pas rapidement. Il se sentait sur un ring. Pas d'échappatoire. Il voulait faire réagir Nishiki, pour se faire réagir lui-même. Il attrapa Nishiki par les épaules et lui donna un gros coup de boule d'une certaine violence. Oh non, il n'allait plus retenir ses coups.

Il tient vraiment à Lukàs.
Nishiki le sut, à l’instant même où ses mots avaient quittés sa bouche, au simple changement d’attitude de Gaël. Des paroles qu’il regrettait, ne serait-ce que pour cette simple constatation. Empathique ? Il l’avait toujours été, quelque soit la personne en face de lui… Il s’en protégeait juste plus ou moins bien. Mais aujourd’hui, alors que la douleur d’une mort brutal et d’un deuil qu’il était incapable de faire le tuait lentement… Comment réellement pouvoir souhaiter ça à quelqu’un d’autre ? Il se serait sans doute excuser, s’il en avait eu l’occasion mais, en quelque pas, le serviteur de Lukàs était à nouveau sur lui.

Il réagit tout juste quand ce dernier l’attrapa par les épaules, mais le coup, une fois encore, partit trop vite pour ses réflexes maladifs. Une nuée de point noirs envahit à nouveau sa vision mais cette fois, il ne vacilla pas, les deux pieds fermement ancrés au sol… du moins, autant qu’il le pouvait. Il n’hésita qu’une petite seconde, mais le coup partit tout seul, presque sans son accord. Avec une force qu’il ne maîtrisa qu’à moitié, il lui décrocha qu’il avait un bon coup de poings juste sous le menton. Assez fort pour le faire lâcher, assez fort pour l’assommer, ne serait-ce qu’un petit peu…
Comme s’il s’était frappé lui-même, Nishiki observa son vis-à-vis un instant, une adrénaline effrayante coulant dans son sang. Il serra son poings tremblant sur lequel il ressentait encore la force de l’impact avant de faire volte face.

- Merde…

Sans un regard en arrière – mais avec un billet sur la table, restons courtois – il sortit du bar d’un pas allongé, le souffle court et le corps tremblant sous les regards des autres clients. L’air frais vint fouetter son visage et il s‘arrêta au milieu de la rue, tentant de reprendre ses esprits en essuyant à nouveau son front. Il allait avoir du mal à s’expliquer, demain.
La douleur brûlante de sa jambe fut ce qui revint en premier, mais il l’accueillit presque avec plaisir.
Il se sentait comme de la merde.
Vraiment. Profondément.

Gaël était con, mais au point qu’il s’abaisse à le frapper alors que c’était lui qui l’avait cherché. Mais il l’avait fait, et avec un certain plaisir qu’il avait du mal à admettre. Parce que ça lui avait fait du bien. Pas de le frapper lui en soit mais de… faire quelque chose. Simplement. Bêtement. Mais ça n’aurait pas dû. Et la violence ne serait jamais sa solution.
Il se passa une main tremblante dans ses cheveux détaché, étalant un peu de sang sans y prendre de garde avant d’entendre des pas derrière lui. Il se retourna et l’observa s’approcher de lui, ses yeux emplis d’émotions qu’il n’arrivait même plus à trier. Il savait que ce qu’il allait dire ne servait à rien, qu’il allait sans doute continuer à vouloir lui fracasser la gueule.

- Écoute Gaël, je sais que tu t’en fous mais je suis désolé, ok ? Crois-moi... je sais ce que ça fait de perdre quelqu’un comme ça… Je ne te le souhaite pas.

Sa voix se brisa légèrement mais il se reprit. Au moins, ses excuses étaient vraiment sincères cette fois.

Le coup lui fit comme une massue sur sa gueule. Il tomba presque en arrière, se rattrapant de justesse à la table mais se laissant volontiers tomber sur la chaise. Il était sonné, il avait mal, physiquement et mentalement. Il voyait blanc tout en voyant rouge. Il avait envie de défoncer la gueule de Nishiki pour être devenu cette pauvre merde qui se laissait aller. Et en même temps, Gaël lui aussi devenait un peu une pauvre merde, qui se laissait aussi aller mais d'une autre façon. « Putain ! » Il se tenait le menton en grimaçant, tentant d'essayer d'y voir normalement. Bordel, que ça tourné autour de lui.

Il prit plusieurs secondes à reprendre complètement ses esprits avant se de relever en faisant tomber la chaise au sol derrière lui. Dans le bar régnait un silence de mort. Les clients avaient les yeux rivés sur lui, certains vers la porte ou Nishiki venait de sortir. Le barman lui même se taisait, ne voulait pas risquer de s'interposer entre les deux furies.

Il marcha péniblement pour sortir de ce bar miteux et rejoindre Nishiki. Il n'en avait pas fini avec lui, il allait le faire payer, le défoncer. Il n'avait plus envie de le faire réagir, mais simplement de se défouler, de lui mettre la racler de sa vie. Comme quoi, les rôles s'étaient inversés.

Mais non, il n'en fit rien. Les paroles de Nishiki, cette fois des excuses sincères, touchèrent beaucoup plus Gaël qu'il ne l'aurait voulu. Perdre quelqu'un. Perdre Lukàs, il ne voulait pas y penser. Il ne pouvait pas y penser. Lukàs était bien la seule personne qui arrivait à le comprendre et à l'accepter comme il était. Et depuis ce foutu soir ou leur relation avait pris un sacré coup, Gaël ne savait plus quoi faire. Avait-il déjà perdu Lukàs ? On pouvait perdre quelqu'un de bien des façons.

En tout cas il était calmé. Lui qui quelques secondes avant été remplit de rage et avait envie de tuer Nishiki, voilà que Gaël se laissait envahir par une certaine mélancolie. Et il ne savait pas comment réagir. Il n'était pas habitué. « Et bien fait en sorte que ça n'arrive plus. Ton ministre est bel et bien vivant, et il le restera si tu te décides enfin à arrêter d'être une putain de loque. » Égoïstement Gaël avait besoin que Nishiki se reprenne. Car si même un homme comme lui baissait les bras et était incapable de protéger ses proches, comment est-ce que Gaël le pourrait ?

Mettons ça sur le compte de sa maladie ou sa fatigue, mais Gaël avait beaucoup d'émotions en lui. Et il ne savait pas comment les gérer. Lui d'habitude si nonchalant était maintenant totalement perdu, car il ne savait pas gérer tout ce qu'il pouvait ressentir depuis que Lukàs n'avait pas osé lui tourner le dos, de peur que Gaël ne lui fasse du mal. C'était bien l'une des premières fois où, sans vraiment s'en rendre compte, Gaël se montrait vulnérable, ayant les larmes aux yeux. « Alors reprend toi Nishiki. »

Contre toute attention, le valet de l’héritier s’arrêta, visiblement frappé par ses paroles, comme si toute colère l’avait soudainement abandonné. Il eut presque du mal à reconnaître qui se tenait face à lui tant il avait l’air… A côté de ses pompes. Perdu, voir même plus. Un instant, Shiki se demanda ce qui avait bien pu se passer pour le mettre dans un état pareille. Ses propres mots ne l’avaient jamais atteint, il n’y avait pas de raisons que les choses soient différentes aujourd’hui. Et pourtant, les paroles du valet se teintaient encore de cette agression sous-jacente, comme une accusation non dite. Ton ministre est bel et bien vivant. Il serra les poings sous le coup de l’émotion. Si seulement les choses étaient si simple.

- Et tu crois quoi ? Il ne se passe pas un jour, une heure sans que je n’essaie ! Et tout ça pour quoi ? T’as bien vu le résultats.

Comment pouvait-il demander à quelqu’un de lui faire confiance alors que lui-même n’y arrivait ? Que tout ce qu’il faisait se finissait inévitablement pas des blessés, ou des morts ? Il ne le pouvait. Et Lûwen non plus visiblement, mais il ne pouvait pas le blâmer pour ça, vu qu’ils pensaient la même chose.
Quelque chose dans la voix de Gaël, quand il lui demanda de se reprendre le sortit un peu plus de sa torpeur. Il expira longuement, força ses mains à se rouvrir, jouant de ses doigts pour se détendre. En plongeant son regard dans celui du valet, pendant un instant, il eut l’impression de regarder sa propre image. Perdu, incapable de savoir quoi faire mais essayant quand même de résister à la tempête dans un acharnement presque primitif. Il s’approcha de lui à pas lent jusqu’à pouvoir venir poser une main sur son épaule, ferme mais compréhensive, presque compatissante.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Sa voix s’était calmée, elle aussi. Aider les autres, ça avait toujours été plus simple que de s’aider soi-même.

Gaël serra les poings. Non, pour lui Nishiki n'essayait pas. Il avait baissé les bras, il avait abandonné. Il était valet, remplissant ses tâches sans y mettre du cœur. Il n'avait même plus peur qu'il puisse arriver quelque chose à son ministre car pour Nishiki, c'était comme une fatalité, cela allait arriver tôt au tard. C'était ce que Gaël pensait en tout cas, que Nishiki avait complètement abandonné. Et ça, il ne pouvait pas le tolérer.

« Alors essai plus fort ! » C'était presque comme un ordre, ou bien un appel de détresse. Nishiki devait se reprendre pour que Gaël puisse lui aussi se reprendre. Lukàs avait besoin de lui, tout comme Elena avait surement eu besoin de Nishiki le soir de sa mort. Mais Gaël ne pouvait pas se permettre d'abandonner. Pour Lukàs, il allait essayer le plus fort possible de continuer.

Il regardait presque dans le vide, si bien qu'il n'avait pas réalisé que Nishiki s'était avancé vers lui. Ce fut lorsqu'il posa une main sur son épaule qu'il s'en était rendu compte, sursautant presque de surprise. Son regard se posa sur Nishiki, les yeux brillants de quelques larmes qui pourtant se refusaient se glisser sur ses joues. Pleurer le ferait passer pour un faible, et il ne pouvait pas se le permettre.

Mais la main compatissante, les paroles humaines de Nishiki était comme une bouée de sauvetage. Est-ce que Gaël pouvait s'autoriser à parler ? Cela voudrait dire accepter toutes ses putains d'émotions qu'il ressentait. Toutes les peurs qu'il avait de perdre Lukàs, de ne pas réussir à lui tendre la main et à l'aider à le faire quitter cette saloperie de paranoïa. Gaël n'était pas doué pour parler de lui. Et puis parler des soucis de l'héritier à quelqu'un serait comme de trahir Lukàs non ? Cela voudrait dire que Lukàs aurait raison de se méfier de son valet.

Perdu, Gaël était perdu.
Et pourtant il sentait qu'il allait exploser s'il ne parlait pas, s'il ne vidait pas son sac d'émotions de merde qui lui pourrissait l'existence depuis un mois. « Lukàs va mal. Il ne veut pas de mon aide. » Simples petits mots qui pourtant montraient toute l'affection que Gaël avait pour l'héritier. Gaël avait beau faire le fier avec ses répliques insolentes et sa façon détaché de voir les choses, mais tenait vraiment à Lukàs.

- Je ne peux pas !

Il avait presque crier ces mots, dans une colère tremblante d’impuissance et de fatigue. Épuisé de lutter contre lui-même, contre cette part de son conscient qui ne cessait de se mettre en travers de son chemin pour le faire s’effondrer. Une part de lui voulait continuer à croire que ce n’était pas fini, que tout ceci servait encore à quelque chose. Il ne cesser d’essayer, toujours plus, dans un effort qu’il pensait vain sans pouvoir s’empêcher de le faire. Plus d’une fois, il avait pensé à abandonner, à juste tout laisser tomber. Mais il s’était toujours relevé, perdant à chaque fois un peu plus de terrain dans cette bataille. Mais cet effort lui coûtait cher, autant physiquement que mentalement et ses épaules ne supporteraient pas ce poids éternellement.

Mais la détresse de Gaël balaya sa propre dépression comme un coup de vent balaie les feuilles d’automne, son esprit à l’affût de la moindre chose qui aurait pu lui permettre de ne pas se pencher sur ses sentiments, qui le raccroche à ce qu’il avait pu être. Même si la douleur qu’il avait en face de lui faisant douloureusement écho à la sienne et le transperçait mieux que n’importe quelle phrase qu’il aurait pu lui lancer. Peut-être était-ce pour ça, égoïstement, qu’il avait envie de l’aider. De se dire qu’au moins, ses propres problèmes pourraient peut-être être utiles à quelqu’un d’autre, à défaut de l’avoir détruit, lui.

Et étrangement, la détresse du valet de l’héritier, les larmes qui pointaient dans ses yeux sans qu’il ne les laisse sortir l’aidait à retrouver son propre calme, à soutenir son regard avec une certitude inébranlable qu’il ne possédait plus que pour les autres. Et quand il s’adressa à lui, sa main se serrant doucement sur son épaule, la même assurance vibrait en lui, bien différente de ses vacillations internes. De tels changement d’attitude, aussi vite, aurait sans doute dû l’inquiéter, d’autant plus que ce n’était pas la première fois… l’instabilité n’était jamais bon signe, mais ce n’était pas le sujet.

- Qu’il n’en veuille pas ne veut pas dire qu’il n’en a pas besoin. Écoute, je ne sais pas ce qu’il se passe… Et je ne te le demanderais pas. Mais va le voir, soit avec lui. Et tu t’en fous si il t’envoie chier, tu y reste. Parfois il n’y a que ça qui marche, même si ça va te bouffer. Mais mieux vaut ça que les remords de n’avoir rien fait. Bats-toi, pour lui si ce n’est pas pour toi. Tu ne vas pas me dire que tu n’en es pas capable.

Il l’observa avant de s’éloigner d’un pas, lâchant son épaule pour lui donner un léger coup de poings sur l’épaule comme il l’aurait fait avec d’autres de ses amis. Tiens le coup, tu peux le faire. Si un jour on lui avait dit qu’il aurait pu avoir ce genre de geste avec Gaël, il aurait bien rigolé...

Sentir la main de Nishiki se serrer doucement sur son épaule était une grande consolation. Au final il avait eu besoin de ça, bien plus que des mots. Savoir qu'il n'était pas seul dans se tourment. Savoir qu'au final, il pouvait plus ou moins compter sur quelqu'un. Qu'elle drôle de coïncidence que ce quelqu'un soit justement Nishiki. Lui qui voulait le défoncer quelques minutes plus tôt avait maintenant besoin de ce geste de compassion, presque d'amitié. Gaël n'était pas seul pour surmonter ce qu'il ressentait. Qui mieux que Nishiki pour le comprendre et l'épauler ?

Il écoutait les paroles de Nishiki avec attention, y cherchant le moindre conseil qu'il pourrait appliquer pour Lukàs. Mais comment se forcer à rester proche du l'héritier lorsque la simple présence du valet à ses côtés lui donnait des sueurs froides ? Lukàs avait parfois peur de lui, et c'était ça le plus douloureux. Alors il ne pouvait pas se permettre de rester auprès de Lukàs. Pour l'aider, il avait été obligé de s'éloigner. Mais cela lui faisait un putain de mal de chien. Cependant Gaël couvrait toujours les arrières de l'héritier, mais dans l'ombre. Grâce à ses contacts, à Lock le voleur, à son expériences, à ses poings. Gaël pouvait toujours prendre soin que personne ne touche à un cheveux de son ami. Mais l'état mentale de Lukàs était mauvaise, et les nobles commençaient même à se dire que l'héritier avait un grain.

Gaël releva son regard sur Nishiki lorsque celui-ci s'éloigna et lui donna une tape amicale sur l'épaule, ce qui fit furtivement apparaître un sourire sur son visage. Un sourire sans une pointe s'insolence et de désinvolture. Un sourire sincère, vrai, reconnaissant. « Je t'offres une bière ? Ou une grenadine, c'est à ta préférence. Mais n'en prend pas l'habitude. Normalement quand je payes un coup, c'est pour avoir quelqu'un dans mon lit. » Mais la son sourire joueur et insolent était revenu. Il se sentait pas vraiment mieux, mais comprit et soutenu.

Comme quoi en une soirée, tout pouvait basculer. Les ennemis qu'ils étaient pouvaient devenir des proches. Gaël avait toujours eu cette pointe de respect pour Nishiki, sans savoir d'où elle venait. Et maintenant il le respectait totalement, et il savait pourquoi.

Quelle destinée étrange, que cet espèce de lien tacite qui venait de se créer en l’espace d’une conversation et de quelques coups échangés autour d’une table. C’est ce que se disait en tout cas Nishiki tandis que Gaël lui proposait une bière avec un sourire qu’il n’aurait pourtant pas cru voir un jour chez lui. Mais pourtant, avec cette soudaine vision, compréhension que Gaël avait finalement bel et bien changé, qu’il prenait les choses à cœur, pas seulement pour lui mais pour quelqu’un d’autre… Shiki devait bien avouer qu’il lui donnait plus de crédit. Plus de confiance aussi. Comment faire autrement quand on est confronté à des réactions aussi… sincères ? Ah ! Il en aurait presque ri.

Il eut d’ailleurs un léger rire à la boutade de Gaël, lui offrant un sourire similaire au sien, petit mais simple et quelque peu allégé. Gaël avait l’air d’aller mieux, ou au moins, de s’être reprit, pour le moment. Il ne savait pas si cela avait quelque chose à voir avec ses paroles, mais si jamais il avait pu aider quelqu’un aujourd’hui, il n’aurait pas complètement perdu sa journée. Et puis… il comprenait sa douleur et ne pouvait que lui souhaiter d’arranger les choses au plus vite… avant que cela ne soit plus possible. Il n’y a rien de pire et d’aussi abrasif que les regrets et les remords. Il savait de quoi il parlait...

- Dans tes rêves. Je passe mon tour pour ce soir.

Il l’observa encore un instant. Cela faisait bien un moment qu’il n’avait pas passé du temps avec quelqu’un mais… Faut pas déconner, quand même. Pas que Gaël soit laid à regarder, mais autant laisser la soirée sur une bonne impression. Sans au revoir, Shiki finit par faire demi-tour pour reprendre la direction de… Ah grande question… A laquelle il n’avait, finalement, toujours pas répondu… Il soupira. Autant se préparer pour la journée à venir.