Il n’y croit pas ses yeux. Mais c’est bien elle.

C’est bien elle, qu’on a trouvée. Elle.

Elena. Elena et son charmant minois. Ses moues sensuelles. Ses manières dominantes et assurées. Son pas décidé. Ce regard lucide et éclairé, sage et avisé. Il se souvient de cette malice infantile mêlée à une maturité majestueuse et totalement maîtrisée. Elle était la Reine d’un peuple oublié, la Madone d’âmes perdues et désolées, l’Etoile guidant les misérables, la Sainte de femmes délaissées et méprisées. Elle était une main de velours dans un gant de fer, et non pas un cœur de pierre empli de tendresse : la vie avait fait d’elle une guerrière, usant de ses charmes avec une efficacité redoutable, sans pour autant oublier la bonté. Son épée était faite de baisers, de caresses savamment mesurées, de regards si langoureusement glissés, offerts du bout des cils, comme ses promesses à peine esquissées par ses lèvres pleines d’amour.

Il l’avait admirée. Avec la mélancolie d’un amoureux transi, perdu face à elle comme un marin face à un océan déchaîné, subjugué comme un lapin face à la danse d’un serpent. Elena. Elle avait su éveiller en lui la solitude, mais lui avait offert un précieux fragment d’humanité qui, encore à présent, lui réchauffait l’âme quand il se sentait… Abandonné. Parce qu’il savait que malgré sa distance, malgré sa réserve, elle avait daigné lui offrir une petite place dans son cœur. Une petite place, bien suffisante pour le docteur. Il avait appris à se satisfaire de peu et le peu qu’elle lui avait donné était déjà trop. Probablement car elle avait su l’attiser, appâter sa tendresse par ses sourires discrets, par ce rire trop rare qu’il avait su lui arracher. Par ce vrai visage qu’il avait réussi à apercevoir malgré ce masque.

Il ne la verrait plus. Plus jamais. Elena avait disparu.

Sa fleur s’était fanée. L’oiseau s’était envolé. Loin de toute cette misère, loin de tout ce malheur, on l’avait arrachée, son corps, négligemment jeté sur les pavés. Il aurait aimé la recouvrir de sa longue veste rapiécée, entourer son cou de son écharpe bleue, prendre ses mains délicates dans les siennes pataudes. Attiser sa pitié, par sa gentillesse démesurée, mais partager, une fois encore, un peu de chaleur. Retrouver cette amitié timide et pudique, délicate et fragile.

Elle n’était plus là.

Son âme s’était envolée. Il aurait aimé croire qu’elle puisse rester. Il aurait aimé entendre son pas, deviner sa présence, son parfum léger, sentir sa main effleurer son épaule. Ses lèvres, abandonner un soupir à son oreille, alors qu’elle l’aurait longé sans même le toucher, esprit mystique et plein de malices. Il avait pleuré, pour elle. Pour Nishiki, aussi. Après tout, l’homme… leur avait permis de se rencontrer. Et aussi grand et costaud soit il, Jonathan se doutait qu’une telle perte laisserait une blessure béante. Inguérissable. Insoignable. Comme celle qui le déchire. Celle qui écarte sa cage thoracique, broie son cœur, celle qui lui écrase le crâne, au point que des larmes ne cessent de couler, de dévaler le long de ses joues creusées par la fatigue.

Tu nous manqueras, Elena.

Ton intelligence, ta prestance, ta finesse, ta délicatesse. Ton sourire, tes mots si joliment tournés, ta force bien présente et cette discrète, pudique, timide sensibilité. Tu étais l’un des joyaux de cette ville, et comme sur toutes couronnes, rien ne comblera ton absence. Repose en paix, Reine des Oubliées, Madone aux yeux de velours et au cœur plein d’amour.