L'homme est une pierre précieuse dans laquelle se mire toute la création

Comment se nomme-t-il, déjà ? Oh, oui. Klaus.

Notre pas énergique suffit à ce que les paisibles Erudits se retournent, comme outré que l’on ose troubler le calme morbide de cet endroit. Les cerveaux y cogitent, mais à nos yeux, ces pensées volages ne s’incarnent que trop rarement en objets suscitant notre attention. Nous apprécions le concret. Nous préférons l’action. Comme si ressasser l’histoire pouvait aider à l’avenir – ne dit-on pas que pour s’élever, nous devons nous détacher de nos racines ? La majorité des Erudits ne sont bons qu’à brasser de l’air ou des poussières. Le nez levé, nous avançons avec assurance dans les couloirs. Nos talons claquent sur le sol, alors que notre jupe faite de soie sombre aux reflets bleus ondulent autour de nos hanches étroites à chacun de nos pas : ce vêtement s’ouvre sur des collants fins, sur lesquels nous avons brodé de discrètes étoiles d’argent. Nous portons un haut à manches courtes, un veston qui plaque notre torse, un col haut soigneusement attaché par une discrète broche d’argent. Nous gardons une veste soigneusement pliée à notre bras. Nos cheveux, boucles énormes et voluptueuses, encadrent notre minois que nous avons recouvert de fond de teint ivoire. Nous sentons nos mèches caresser sensuellement notre dos à notre démarche rapide. Nous n’avons guère de temps à perdre. Nous adressons un regard à l’une des horloges suspendues au plafond, puis nous rejoignons le bureau du dénommé Klaus A. Grüber. Il nous intéresse. Tout du moins, ses possessions suscitent notre curiosité.

Le Saltz.

Ce mot, si mystérieux, dénomme une création plus obscure encore. Ce minéral incroyable, dont les effets sont redoutables. Folie ? Addiction ? Illusion ? Hallucination ? Brûlures terribles, morsure implacable, déchéance irrémédiable. Pourquoi nous attire-t-il ? Nous ne pouvons imaginer qu’il nous rappelle la sensuelle menace des vagues affamées, la danse mortelle et charmante de serpents armés d’écailles… Dont nous nous servons pour orner nos ceintures, les chaussures des Nobles, comme si ces pauvres erres avaient été réellement capables de terrasser ces monstres. Dompter de tels éléments apporte une sensation d’extase et de puissance que nous nous plaisons à rechercher. Nous n’avons cessé d’imaginer des parures constellées de pierres précieuses, de métaux rares, comme des constellations que l’on enfilerait sur son corps… Pour donner vie au ciel et à la terre, pour réunir leurs forces et se donner une allure de déité. Après tout, ne s’amuse-t-on donc pas à enfiler une armure pour nous faire croire guerrier ? L’idée nous amuse et nous replions nos doigts fins, dont les ongles ont été soigneusement manucurés et peints de vernis noir, constellé d’éclats bleutés et argentés. Nous toquons à 3 reprises, 3 coups fermes. Sans être violents, ils n’ont rien de doux, ils sont autoritaires. Par habitude. Puis nous attendons, le port droit, le manteau contre notre ventre fin. Nos mèches soigneusement glissées derrière nos oreilles, nos yeux se ferment à demi, nos paupières sont recouvertes de poudre sombre qui amplifie l’intensité de nos yeux turquoise.

Les pierres, nous les connaissons. Nous les apprécions. Nous avons déjà dessiné de nombreux accessoires. Or, argent, topaze, rubis, émeraude, nous sommes allés jusqu’à gratter la nacre sur des coquillages ou prélever des perles dans des mollusques visqueux. Nous n’avons jamais hésité, quand il s’agit de donner naissance à nos créations. Comme une mère ne rechigne pas à la souffrance, nous sommes prêts à tout pour permettre à nos idées de prendre vie. De prendre matière. Nous avons besoin de Saltz. A croire que nous en avons déjà consommé. Nous mordons notre lèvre inférieure. Nous a-t-il oubliés ? Aurait-il osé ? Non, bien sûr que non, nous devons seulement nous montrer patients. Il est impressionnant de constater que le temps est si soumis à nos sentiments : lorsque l’on s’ennuie, les heures sont des siècles, lorsque l’on s’amuse, le temps passe si vite, bien trop vite, et voilà que notre cœur s’accélère quand nous percevons ses pas approcher de la porte. Qu’il nous ouvre !

La porte s’ouvre, découvrant un homme plus grand que nous. Brun, des pommettes hautes, des yeux d’un marron profond, nous rappelant certaines boissons chaudes, aux accents de cannelle, que nous apprécions savourer. Nous laissons nos yeux détailler sa tenue, bien entendu, nous ne nous attendons guère à un tissu noble ou une coupe complexe. Disons que ce ne sont pas ses vêtements qui vont lui permettre de se distinguer du peuple, mais nous ne pouvons nier qu’il possède un certain charme. Son invitation nous amuse, peut-être car nous y lisons tout le miel qu’il étale sur ses syllabes… Mais nous fréquentons bien assez de monde pour savoir que cette politesse n’est qu’une norme sociale que notre interlocuteur se tâche à respecter. Au moins, il est bien élevé. Sensibles à son effort, nous lui offrons un sourire avant que nos yeux n’observent avec curiosité l’intérieur de son bureau. Nous remarquons déjà quelques objets étranges qui suscitent notre curiosité, mais voilà que notre aimable hôte nous convient à nous installer sur une chaise, devant son bureau. Nous la rejoignons et nous nous asseyons, croisant élégamment les jambes en reposant nos mains sur notre cuisse, la tête haute. Nos épaisses boucles brunes cascadent autour de notre visage de forme ovale et nos yeux clairs se plantent dans la douce obscurité de ses pupilles plus sombres. Nous esquissons un sourire. Nous sommes sensibles à la beauté des Hommes… Dans toute leur diversité. Et il est amusant de voir que contrairement à de nombreux Nobles, cet Homme choisit de poser directement la question qui lui vient à cœur.

_ Il est rare que l’on en vienne ainsi directement au vif du sujet… Ce n’est pas plus mal. Au moins, nous ne perdrons pas de temps à échanger des futilités. Le Saltz suscite notre intérêt pour la création de broche ou d’ornement. Bien entendu, nous avons connaissance des dangers que représente ce minerai et nous avons souhaité nous adresser à un expert pour en savoir davantage. Est-ce une pierre taillable ? Est-il possible de se protéger de ses effets, ne serait ce que par une protection de verre isolant la pierre de l’extérieur ?

Nous levons une main pour effleurer nos lèvres dessinées par un trait de crayon, de rouge à lèvre. Notre index presse la pulpe de notre lèvre inférieure, alors que nous hésitons à reprendre, jusqu’à rabaisser la main, le visage de nouveau sérieux.

_ Nous sommes très intéressés par vos travaux et le potentiel du Saltz. Nous ne cessons de répéter sa dangerosité, et c’est peut-être cette menace qui le rend aussi… intéressant. Comme cette affaire de meurtres qui alimente toutes les conversations, comme un animal au poison redoutable que l’on cherche pourtant à étudier pour trouver un antidote alors que d’autres vont se servir de sa peau pour en faire un vêtement… Un vêtement qui mettra en avant la force d’une personne, combien même n’aurait-il, en réalité, jamais tué la pauvre créature. Notre intérêt n’est pas seulement esthétique, bien que dans les faits, ce sera l’objectif choisi. Notre métier et nos passions nous poussent à une curiosité intellectuelle qu’il n’est pas toujours aisé à satisfaire. Et qui d’autres que vous peut nous renseigner sur le Saltz et ses propriétés ?

Nous esquissons un sourire malicieux et nous penchons la tête sur le côté, les yeux mi clos.

_ Ne ressentez pas d’inquiétude, nous n’allons pas voler vos travaux ou les diffuser, l’important pour nous est d’atteindre notre objectif, pouvoir employer le Saltz pour un ornement vestimentaire avec le moins de dangers possibles. Cela vous paraîtra probablement futile… Mais certains vous diront qu’étudier des cailloux n’est pas ce qu’il y a de plus utile dans notre société. Bien entendu, vous serez contre, comme nous sommes contre à l’idée que les vêtements doivent être méprisés. Actuellement, dans notre société, l’apparence compte énormément… Et au vu de la réputation que possède le Saltz, une simple broche incrustée serait… Un vrai succès. Bien entendu, si vous ne cautionnez pas et que vous ne souhaitez pas nous partager vos connaissances, nous ne vous y obligerons pas.

Le verre serait donc un métal insuffisant ? Cette constatation nous déçoit quelque peu. Nous avions imaginé une perle de Saltz, perdu au centre d’un écrin d’argent, protégée sous une coupe faite de verre soigneusement purifié de toutes imperfections. C’aurait été une broche de toute beauté. L’idée d’un alliage allume dans nos yeux une lueur d’intérêt et nous laissons nos doigts caresser songeusement le bord de son bureau. Nous apprécions le contact du bois, le doux dessin de ses veines sous la pulpe de nos doigts.

_ Plus mortel ? Et par quelle magie ? Que dégage le Saltz pour être si dangereux ? Du gaz ou est-ce une matière corruptible, simplement sous forme solide, comme la chaux ?

Ses mots plein de mépris sont assez frappants, mais pas pour notre ego. Nous avons subi des attaques bien plus redoutables et d’ailleurs, nos doigts remontent effleurer nos lèvres qui se sont alanguies d’un sourire légèrement moqueur à notre tour.

_ Vous avez parfaitement raison, Professeur. Disons que nous avons tous nos domaines d’excellence et c’est ce pourquoi nous venons vous consulter aujourd’hui. Toute la Cité sait que vous êtes l’homme le plus Savant au sujet du Saltz, personne ne vous arrive à la cheville. Nous choisissons nos interlocuteurs.

La suite de ces mots nous fait sourire avec amusement de nouveau. Tuer une partie de notre clientèle ? N’allons pas jusqu’à là

_ Ne serait-ce point une méthode originale de se débarrasser d’une personne gênante ?

Côtoyant l’Aristocratie, nous sommes accoutumés aux désirs les plus facétieux de nos clients. Certains d’entre eux nous font part de demandes qui pourraient être terriblement mal reçues si on osait les formuler face à un public. Mais dans l’intimité de mon cabinet, il arrive que l’on vienne me consulter pour combler des désirs honteux, des tenues ou des accessoires dont les buts sont de satisfaire les besoins les plus obscurs. Mais il existe une autre catégorie. Celle de ces armes dissimulées dans les talons des bottes, des bagues renfermant une poudre mystique et mortelle, de broches assassines. Nous sommes discrets, nos clients veillent à ce que l’on ne puisse remonter notre trace, mais nous envisageons de nouvelles créations, des morts causées par la stupidité humaine, d’une personne dont l’ambition est suffisamment importante pour effacer son intelligence et la conduire à commettre une grave erreur. Pourquoi nous croire responsable alors qu’il ne s’agirait que d’une pièce d’art, que certains s’arracheraient ? Il n’y a qu’à voir la réputation de certains bijoux maudits que les Nobles s’arrachent, comme ce collier que seules les femmes pourraient porter sous risque de périr tragiquement…

_ Disons que nous avions pour but d’en confectionner une broche, d’apparence particulièrement noble et inoffensive. Nous avons reçu dernièrement une demande assez particulière, notre client aurait souhaité un bijou… magnifiquement beau, tout en étant menaçant, pour reprendre ses termes. L’obsidienne rouge pourrait probablement convenir. Pourriez-vous nous montrer un exemplaire ? Nous ressentons beaucoup de curiosité au sujet du composé artificiel… Cela nous paraît si obscur, comment êtes-vous capable de créer un tel artefact ? Est-ce issu de pierres, de chimies ?

Notre esprit est curieux. Nous apprécions la compagnie des êtres intelligents – ou bien placés. Parfois, bien constitués bien que nous soyons assez exigeants dans la matière.

L’homme est une pierre précieuse dans laquelle se mire toute la création

Tant de mots projetés d’une bouche habituée au mépris. Comment faisait-il pour aimer ce temps perdu ? C’était un ignorant bavard mais une marche bien placée pour prendre de la hauteur. Klaus le regarda donc, avec un sourire ni réellement ironique ou méprisant, ni sympathique. C’était ce sourire à cheval entre la politesse et la grimace agacée que l’on lançait face à un client casse pied que le professionnalisme vous interdisez de mettre dehors.

« Il n’y a rien de magique dedans. Sachez, pour commencer, que l’on connaît très mal le Saltz à ce jour. La poussière de Saltz est toxique, d’où l’obligation de porter des masques pour le manipuler. Au contact, il irrite les chairs, les ronges. Et nous ne parlons là que de sa forme solide. De sa poudre l’on obtient la Sélidoine, raffiné les carburants de nombreuses machines mais aussi d’autres choses… Intéressantes. »

C’était une explication très résumée, qu’il jugeait adapté au niveau de connaissances du couturier. Mais avec ses quelques mots, il espérait lui permettre de comprendre la nature de la pierre qui avait retenu son attention. Quant aux flatteries, il les entendait mais refusait de leur accorder plus que la valeur d’un bruit de fond dans ses oreilles. Elles n’étaient là que parce qu’il avait accepté de le recevoir, lui, ce grand couturier de la haute société, de lui accorder du temps. C’était un pot de vin fait de mots, inintéressants au possible.

« Originale, certes. Mais mourir par le Saltz demande du temps, ce n’est pas instantané non plus. »

Suite à cela, Klaus lui proposa de se servir d’une pierre semblable mais inoffensive, ou de fabriquer la pierre désirée. Ce serait bien plus sûr, en l’état actuel de la science, pour les clients mais aussi pour leurs têtes respectives. Et, preuve que cet invité imbu n’était pas si borné, il se montra intéresser par ces solutions. Son but était après tout le beau, le noble, l’inoffensif.

« Je dois en avoir une oui. » répondit-il en se levant. Il se dirigea vers une commode basse, en bois sombre, et en ouvrit le tiroir de gauche qui abritait une boîte métallique doté d’un couvercle en verre transparent et tandis qu’il répondait à la suite des questions, il s’empara de l’obsidienne rouge qui y reposait, referma le tiroir et revint à son bureau, déposant la pierre devant Luxis.

« L’on peut atteindre ce résultat de plusieurs façons. La plus simple est d’employer une résine. Peu couteuse, elle reste celle ayant l’aspect le moins véritable. Une autre solution est de reconstituer une pierre, à partir d’un ciment et de poudres de pierre, mais l’on pourrait aussi, suivant ce que désire vos clients, et ce que vous désirez, partir sur un cristal fait de toutes pièces. La technique est complexe mais en simple l’on chauffe une matière qui va couler dans un moule tournant pendant quelques heures voire plusieurs jours. Evidemment, un cristal serait différent du Saltz, tout comme cette obsidienne qui ne partage que sa couleur avec lui. L’aspect est différent. Mais le mieux, pour faire votre choix, serait sans doute de voir par vous-même le résultat je crois. »

Et pour cela, Klaus comptait bien le faire payer. Il pouvait prendre de son temps pour discuter mais un travail demandant autant d’efforts et de temps méritait une contrepartie.

« Un aspect beau et menaçant… Rubis et onyx le sont, mais sans doute trop commun. Sinon vous ne seriez pas là à penser au Saltz. Vous en avez déjà vu ou c’est l’idée que vous en avez qui vous porte ? »

Il aurait sans doute dû poser cette question plus tôt, pour s’épargner des réflexions internes sur la façon d’imiter la pierre fondatrice de son travail, de sa vie. Mais il appréciait le défi que cette demande représentait, même s’il n’aimait que peu le demandeur.

Codage par Libella sur Graphiorum

Son sourire nous laisse de marbre. Bien qu’en réalité, nous éprouvions une certaine colère face à cette impertinence savamment dissimulée. Nous sommes tristement accoutumés aux jugements, que nous avons pour habitude d’écraser sous nos talons aiguilles – quand ce n’est pas à coup de remarques bien placées que nous déconstruisons les egos ou les réputations de ceux cherchant à nous nuire. La place de couturier et tailleur de la Reine nous offre une certaine importance et contrairement à ce qu’on pourrait croire, une réelle influence. Notre humeur est un océan sur lequel nous sommes contraints de naviguer et dont les vagues ne cessent de nous couler. Dans ces moments, nous croisons des monstres enfouis, nous connaissons la rage de survie, celle de nager jusqu’à la surface, de lutter contre ce qui nous menace. Mais nous nous contraignons à ravaler notre agressivité, ce revirement n’a pas lieu d’être. Et nous avons besoin qu’il nous renseigne. Son mépris n’est probablement qu’un jeu de notre esprit en déséquilibre.

Alors qu’il nous explique les effets du Saltz, un étrange frisson saisit nos membres. La sensation est délicieuse. Nous imaginons aisément la corruption gagner la chair. La peau qui rougit, s’effrite, se creuse alors que la douleur gagne les chairs sous-jacentes, avant que le mal ne vienne s’incruster dans les fibres musculaires pour les assécher… La poudre doit être toxique, elle aussi. Que se passe-t-il si on en ingère ? Nous ne pouvons que penser à la souffrance qui se propage dans la gorge ou éclate dans les poumons, la brûlure intolérable ? Pourquoi penser à une telle douleur nous est si grisant ? Le processus semble long. L’agonie doit être terrible.

_ On doit sentir le mal corrompre petit à petit, la brûlure gagner de l’importance, au fur et à mesure que la nuisance avance. Que peut-on faire d’autres, de la Sélidoine ?

Nous nous intéressons. Notre esprit est curieux et d’ailleurs, nos yeux suivent les mouvements de l’Erudit, nous écoutons ce qu’il a à nous apprendre. Peut-être a-t-il surpris, l’espace d’un instant, la lueur étrange qui parcourt nos yeux à l’idée de la souffrance causée par un simple caillou. Avant que nous préférions nous raisonner, laisser notre esprit l’emporter sur nos sentiments. Quand l’obsidienne fut posée devant nous, nous laissons nos doigts se refermer sur le précieux écrin translucide pour porter la pierre à nos yeux. La pierre rouge… Ne l’est clairement pas assez pour nous, nous rechignons contre l’aspect brun de la roche. Dommage, les tâches noires souillant sa surface pouvaient présenter un intérêt. Une petite moue s’arrache de nos lèvres. Que pourrions-nous faire d’une telle pierre ?

Un poisson, répond l’un d’entre nous. Bonne idée. Oui, un poisson charnu, à la silhouette gracieuse. Nous finissons par reposer l’écrin et nos yeux se lèvent de nouveau pour se planter dans les prunelles de l’Erudit. Il faut être stupide pour ne pas comprendre qu’il souhaite à ce que nous mettions la main à la pâte… Et nous ne sommes pas nés de la dernière marée.

_ Nous n’en avons encore jamais vu, bien que nous en ayons entendu parler. Enfin, si cette pierre est si dangereuse, nous imaginons qu’il est préférable à ce qu’elle reste un fantasme… Bien que notre curiosité ne puisse se taire si vous nous offrez la chance d’en voir. Quant à un cristal… Nous serons prêts à financer. Une roche unique façonnée de sorte à atteindre le but esthétique que nous recherchons serait grandement récompensée. Vous êtes libre de travailler comme vous l’entendez, tant que le résultat nous satisfait. Nous souhaitons un cristal d’un rouge intense, dont le cœur pourrait se rapprocher d’un carmin très profond, sanguin, s’étirant vers des reflets plus… légers sans pour autant virer vers le rose, l’orange ou toute autre couleur. Nous voulons un aspect puissant et menaçant, mais noble, nous ne souhaitons pas forcément une pierre taillée, ce peut être une roche à l’état brut…

Un met corset n’est pas désagréable au palais

La fascination du couturier envers le Saltz avait quelque chose de morbide, malsain. Cet homme avait très clairement l’esprit dérangé mais Klaus ne se permit pas de le lui faire savoir. Il savait faire preuve de bon sens de temps à autre.

« De la Sélidoine oui. Une drogue rassemblant nombre de substances mortels… Il est beau de voir où vont les efforts des êtres humains n’est-ce pas ? En agissant avec prudence l’on pourrait obtenir de magnifiques explosifs, par exemple pour disperser un gaz ou de la poussière de Saltz pour provoquer une intoxication… Accidentelle… » il avait clairement accentué le dernier mot afin de bien mettre en évidence que ce n’était pas un véritable accident mais une savante méthode pour éliminer quelqu’un. C’était une bonne idée pour tuer quelqu’un, surtout dans des endroits proches de ce minerai. La cause de la mort paraitrait aussi tragique qu’ordinaire. C’était l’arme presque parfaite. Il nota donc dans un carnet « Bombe au Saltz ? » pour se souvenir d’étudier le sujet, voir ce qui avait été fait et ce qu’il pourrait trouver lui-même.

« Je ne conserve pas de Saltz ici. J’en ai des échantillons, en infime quantité, bien sûr mais ailleurs. » mais il ne montrerait ni ne dirait pas où exactement. Il ne faudrait pas qu’un stupide couturier ne se décide à le voler n’est ce pas ? Il ne fallait faire confiance à personne pour ses recherches en cours, c’était presque un crédo pour lui.

« Je pourrais voir ce qu’il me sera possible de faire. Un rouge intense aux reflets sanguins, menaçant avec noblesse… C’est un défi assez intéressant. Et si je ne peux rien pour vous je chercherai un gemmologue capable de vous satisfaire. »

Normalement cet entrevu touchait à sa fin. La demande avait été faite et acceptée. Le chercheur n’avait plus qu’à chercher et produire, en espérant en être capable. C’était une question qu’il connaissait mais sans y être un expert aussi n’était-il sûr du résultat.

« Y avait-il autre chose ? »

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L’homme est une pierre précieuse dans laquelle se mire toute la création

Cet homme avait décidément bien perdu l’esprit, ou alors il n’avait jamais été sain ne serait-ce qu’une seconde dans sa vie. Sa demande en elle-même trahissait une folie sans nom mais plus cette discussion s’était avancée et plus Klaus avait été certain que ce type était dangereux car imprévisible. Le pire c’est que ces idées étaient excellentes à leur manière. Quoi de mieux pour détourner l’attention de l’arme du crime qu’un beau feu d’artifice ? C’était une belle façon de maquiller un attentat mais elle était aussi difficile à mettre en œuvre.

« Non, je pensai à de simples explosifs. Une machine infernale ordinaire, une bombe dont le souffle libérerait un gaz ou une poussière toxique. Rien de bien exceptionnel. Mais pour vous répondre l’on serait plus dans des nuances de bleus. Le Saltz est hautement inflammable et dégage beaucoup d’énergie à sa combustion. »

Etait il raisonnable de se lancer dans la construction d’une telle bombe en sachant qu’il ne pourrait jamais la tester ? Il n’avait peut être aucun scrupule à faire des essais sur des malheureux pour certaines de ses inventions mais là l’on parlait d’une arme susceptible de massacrer toute une partie de la ville, ou au moins de l’affecter grandement. Il le ferait sans doute, au nom de la science, pour prouver que c’est possible. Mais un autre jour, lorsqu’il n’aurait pas des choses moins meurtrières à faire.

« Et moi de même. Je devrais obtenir les premiers résultats d’ici une semaine. Et si vous étiez satisfait, je vous adresserai une estimation du coût et du temps de fabrication. »

Il ne lui précisa pas que sa demande restait secondaire à toute mission liée au Saltz. Il n’allait pas refuser de se joindre à une expédition d’étude sur le Saltz pour faire des gemmes dans le fond de son atelier. Ce n’était pas une priorité et si ce fou furieux se languissait de ses pierres et se laissait d’attendre, il pourrait toujours le rembourser ou le renvoyer vers d’autres mains au moins aussi expertes que les siennes.

« Puissiez vous passer une excellente fin de journée ! »

Et sur ces mots il reporta son attention sur son carnet, reprenant un crayon pour y noter des idées, tracer quelques croquis des pierres qu’il pourrait réaliser, ce qui lui passait par la tête. Ces notes étaient souvent obscures et brouillons pour les autres. Il était bien le seul à s’y retrouver dans ce mélimélo. Par instant il relevait les yeux, s’assurant que son client ne s’attardait pas plus que nécessaire.

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