Rendez-vous en eau tranquille

Le lac souterrain. Dans les labyrinthes infernaux des sous-sols, c’était sans doute l’un des endroits préféré du rouquin. Bien souvent désert - peu nombreux étaient les ingénieurs qui aimaient se risquer jusqu’ici - la présence de l’eau et des quelques cristaux diffusant une lueur apaisante suffisaient à donner aux immenses salles un côté mystérieux et fantomatique qui avait un charme certain. Du moins, c’était son propre ressenti qui parlait. Il connaissait beaucoup de ses amis ou connaissances qui, bien au contraire, voyait l’endroit comme une antre démoniaque où un monstre se terre dans chaque recoin et où chaque petite caustique adamantine n’est qu’un esprit des nombreux mort jonchant les lieux. Axel trouvait cette superstition amusante étant donné qu’aucun cadavre n’était jamais laissé très longtemps trop près du lac : l’eau de source était trop précieuse pour y risquer une quelconque contamination.

Mais plus que son amour de cette endroit, c’était surtout son architecture qui était particulièrement intéressante. Si la grotte originelle avait dû être naturelle, il en était tout autrement aujourd’hui. A de nombreux endroits autour et dans le lac se trouvaient des plates-formes surmontées de machines en tout genre permettant aux habitants de la ville du dessus de récupérer leur eaux potable. Elles étaient reliés par des sortes de ponts suspendus à l’aspect branlants dont les attaches dans le plafond devaient datés de plusieurs décennies. Plusieurs cavités étaient également creusés dans la roche par les ingénieurs, pour circuler d’une pièce à l’autre - si l’on pouvait réellement appeler ça des pièces - et bien évidemment, des générations de contrebandiers étaient venus y creuser leurs propres route, rendant l’ensemble assez similaire à un gigantesque gruyère. Un endroit parfait pour se dissimuler des regards indiscrets. Ou pour donner un rendez-vous tout en s’assurant de l’identité de son hôte.

Parce que c’était pour ça qu’il était là, armé d’une petite lampe à essence tandis qu’il pénétrait silencieusement la salle principale du lac souterrain. Morgan lui avait notifié quelques jours auparavant qu’il avait une connaissance qui souhaitait le rencontré, sans lui donner beaucoup plus de détail mis à part le prénom de cette fameuse personne - en imaginant que cela soit le vrai, évidemment. Axel faisait assez confiance au jeune homme pour ne pas lui tendre un piège - le jeune journaliste et ses activités avaient besoin de lui, d’une certaine manière - mais le vieux renard qu’il était avait malgré tout tenu à lui imposer l’heure et le lieu : plus d’une semaine plus tard, et peu après la tombée de la nuit, où l’agitation règne encore avant que toute la ville ne tombe dans ses activités nocturnes.

Si grâce à William, il avait une bonne idée du planning d’entretien des machines du lac, il était malgré tout arrivé entre chien et loup, plusieurs heures en avance de son rendez-vous pour prendre le temps d’inspecter correctement les lieux et être certain qu’aucun importun ne viendrait les déranger. Une fois chose faite, il s’était simplement installé sur un petit promontoire rocheux lui donnant visibilité sur la majorité de lac, mais surtout, des entrées susceptibles d’être utilisées. Il attendit, profitant du calme et du silence.

Assis à même la roche, une jambe pendant négligemment dans le vide au dessus des flots, il avait baissé la consommation d’essence à son minimum pour ne laisser qu’un faible lueur pour servir de repère à sa future rencontre. A la maigre lueur de la flamme et à celle encore plus ténue de la cigarette qu’il ne tarda pas à allumer, on pouvait tout juste apercevoir la couleur assez distinguable de ses cheveux tirés en une pratique queue de cheval haute et son regard parcourant la pièce, le reste de ses habits d’une couleur noire se fondant dans l’obscurité de la grotte. Pour une peu, il aurait presque cru faire partie des Spectres du lieu. Une pensée qui lui arracha un sourire amusé.

Dans le silence des bruits d’eau et de ses sifflements musicaux pour passer le temps, son attention finit par se laisser attirer par des bruits de provenant d’un couloir. Dans un réflexe aiguisé par des années d’expérience, il arrêta tout bruit, focalisant son regard habitué aux ténèbres vers la direction des petits bruits réguliers, son corps retrouvant cette petite tension agile dans ses muscles. Il épia les différentes cavités - l’écho ténu rendait difficile toute localisation exacte jusqu’à apercevoir une silhouette se détacher des ombres. Le rouquin resta immobile sur son perchoir, attendant simplement que l’homme le rejoigne, malgré lui curieux de rencontrer une des fréquentation de Morgan.

Le souffle de l'hiver commençait à venir rafraîchir considérablement les faubourgs. Les mineurs tentaient autant que possible de s'habiller chaudement, mais avec des vêtements usés, troués voir délabrés, l'air frais pénétrait sans grande difficulté dans leurs habits, venant rendre leurs peaux glacés.
L'un des meilleurs moyens de tomber malade, et de faire le tri d'une population inadaptée à se montrer utile en travaillant.
Cela faisait des mois que Emilia, la tante de notre mineur rebelle - celle qui l'avait adopté suite au décès de ses parents, qui avait prit soin de lui, l'aimant et le choyant du mieux qu'elle pouvait, comme son propre fils - était malade. Une pneumonie, et dans ces conditions de vie, ça ne pardonne pas.

Et pourtant, la femme résistait tant bien que mal à succomber à une mort certaine. Dans les cas les plus courants, la pneumonie emportait en quelques semaines - voir quelques jours - les corps les plus vaillants. Faute de médecins vraiment soucieux de la santé des mineurs, ceux-ci n'allaient pas se déplacer aux cœurs même des habitations des ouvriers pour ausculter des futurs mourants.
Mais Emilia, malgré son inlassable toux, sa mine encore plus grise que les travailleurs acharnés, et son maigre gabarit, était toujours en vie. La femme s'accrochait à la vie, ne voulant probablement pas laisser son « fils » seul, dans ce monde si difficile. Elle avait tendance à le sur-couver, même malade, et même si Edouard était maintenant un adulte. Elle connaissait les idéaux révolutionnaires de ce jeune garçon, et, même si elle ne le savait pas concrètement, elle ne doutait pas de la ressemblance de volonté entre lui et le Meneur.

Edouard marchait d'un pas assez rapide dans les tunnels du souterrain. Son ami Morgan était en contact avec un pionnier de la contrebande des mines - pour ne pas dire son leader - pour certaines affaires concernant la rébellion.
Mais aujourd'hui, le jeune rebelle n'avait pas endossé son rôle de chef, mais plutôt celui du neveu aimant et inquiet.
En plus d'être contrebandier, Axel Rosebury était un herboriste. Un homme sachant manier les plantes et les fleurs pourrait certainement l'aider à guérir sa tante, et à la sauver. Du moins, il l'espérait de tout cœur. Il avait prit ses maigres économie, sans toucher à l'argent mis de côté pour la rébellion. Un choix difficile, très difficile.
Avec de l'argent en plus, il aurait certainement pu acheter des médicaments, des vrais. Et ça tante aurait été rapidement guérie. Mais cela voulait dire retirer des sous pour la rébellion, donc retirer des sous à Morgan, à ses camarades, à l'espoir d'un nouveau monde. Entre sa tante et la révolte, le cœur d'Edouard avait du mal à faire un choix. Alors pour l'instant, il espérait que ses petites économies suffiraient à satisfaire le contrebandier, et auquel cas... il aviserait.

Et puis, le moment de la rencontre arriva.
Edouard vit d'abords une très faible lueur, comme une luciole au loin. Mais, travaillant dans les mines, il lui était facilement évident de reconnaître qu'il s'agissait de la flamme d'une lampe à essence, baissée au maximum pour éviter d'attirer l'attention sur son porteur. Continuant de s'approcher, il commençait maintenant à distinguer les formes du contrebandier. Une carrure assez svelte et élancée, mais difficile à en être certain étant donné qu'il était assis. Et des cheveux roux, flamboyant.

« Bonjour. » avait dit Edouard, en s'arrêtant à quelques pas du rouquin. La politesse était très importante pour le minier. Et le respect également, surtout si cet individu pouvait avoir un rôle dans la guérison de sa seule famille. Le visage de mineur était amicale, bienveillant, et souriant. Rien à voir avec la façon dont il se présentait lorsqu'il endossait le rôle du Meneur. La, il était Edouard, lui-même, alors un visage enfantin, très doux, presque innocent.

Le regard malachite du rouquin suivit avec attention l’approche de son éventuel futur client, observant sa façon de se déplacer dans cet endroit. Alors qu’il le rejoignait et qu’il se rapprochait de la source de lumière à ses pieds, Axel pu observer les traits de son visage. Même is c’était souvent difficile à estimer, il avait l’air jeune. Ce qui était souvent le cas chez les miniers, la pénurie de nourriture et de soin les condamnant soit à avoir un corps ne grandissant pas normalement, soit au contraire à prendre des traits de vieillard beaucoup plus vite qu’ils ne l’auraient du. Des cheveux noirs qui se fondaient dans le décorum, des yeux presque trop doux. Il retint un léger soupir.
L’herboriste se déplia en se relevant d’un geste souple et fluide au salut du jeune homme et lui tendit une main dans la foulée en guise de salutations.

« Axel. » Se présenta-t-il simplement. Il se doutait que ce n’était pas nécessaire, mais il laissait parler la simple politesse. « On m’a glissé que je pouvais peut-être t’aider. »

Il rentra dans le vif du sujet avec calme, invitant son interlocuteur à prendre les devants. Morgan ne lui avait pas laissé beaucoup d’indices quand il lui avait expliqué avoir besoin de ses services - chose qui était assez rare chez lui il fallait bien l’avouer. Il était en général peu avare sur les paroles, ce qui faisait un peu le charme du personnage et Axel s’était posé la question sur l’origine de cet étrangeté. Soit il ne connaissait pas bien la personne, ce qui aurait expliqué le pourquoi du peu de paroles, soit c’était tout bonnement l’inverse et pour quelques raisons, il n’avait pas envie de s’attarder sur le sujet. Si l’explication n’était pas vitale pour le rouquin et qu’il n’irait pas creuser pour obtenir de réponse, sa curiosité avait malgré tout était légèrement piquée.
Il reprit la parole, de cette même voix paisible et sûre d’elle.

« Explique moi donc ton problème. On ne m’en a pas dit grand chose. »

Il se rassit, faisant signe au jeune homme d’en faire autant. Il passait déjà la majorité de ses journées à piétiner derrière son comptoir pour ne pas profiter des occasions où il pouvait soulager un minimum ses jambes. D’autant plus que la conversation risquait de durer un petit moment, alors autant se mettre un peu à l’aise. Sortant une nouvelle cigarette de sa poche, il s’amusa à la faire tournoyer entre ses doigts avec dextérité sans faire mine de l’allumer. Un petit tic qu’il avait développé dans son adolescence et qui l’aidait à se concentrer quand il en avait besoin et dont il n’avait parfois même plus conscience.

Le mineur prit volontiers la main que lui tendait le rouquin, après avoir, au préalable, frottait celle-ci sur son pantalon, histoire de la rendre un peu plus propre et moins rèche. C'était trop rare, qu'une personne extérieure aux mines s'abaisse à serrer poliment la main d'un travailleur. D'habitude, les rares personnes qui étaient de passage faisaient preuve d'indifférence total pour les miniers, et ce, même s'ils venaient pour les voir directement. Pas de bonjour, pas de contact physique - on ne sait jamais, peut-être que des maladies pourraient sauvagement sauter sur eux.
Bien sur, il devait avoir l'habitude de marchander avec des mineurs, dans tout les cas, Edouard appréciait la « sympathie » du contrebandier à son égard.

« Edouard. » répondit-il à son tour, pour être d'un même pied d'égalité.

Il ne craignait pas de s'identifier, il n'était qu'un simple mineur, après tout - clin d’œil appuyé. Et la contrebande était tellement présente ici, qu'il ne risquait pas grand chose. Pour espérer survivre plus confortablement, les mineurs avaient souvent recours à de la contrebande. Nourritures, soins, vêtements chauds, alcools. Tout ce qui pouvait les sortir quelques minutes de ce quotidien étouffant.
Il s’essaya donc à son tour, en face d'Axel, le regardant tout en gardant son petit sourire habituel. Il passa une main dans ses cheveux ébènes pour tenter de les mettre en arrière, mais comme d’habitude, ceux-ci reprirent directement leur place initial, laissant plusieurs mèches noirs tomber sur le visage du jeune mineur.
Il avait apprécié la discrétion de Morgan concernant son « problème ». Sa tante était un sujet sérieux et qui lui tenait beaucoup à cœur, il tenait à expliquer lui même la gravité de la situation à cet individu.

« Ma tante est malade depuis 5 mois. Une pneumonie qui ne veut pas passer. »

Le visage du minier s'était un peu assombri à l'évocation de sa tante. Même si celle-ci se battait pour tenir et survivre, elle s'était beaucoup affaiblie pendant ses derniers mois. Et déjà que la vie ici vous mine et vous tue à petit feu... Si vous êtes malades en plus, il ne reste qu'à espérer. Mais Edouard voulait plus qu'espérer, il voulait trouver une remède, une solution pour soigner et sauver sa tante. Elle était comme sa mère, elle était sa seule famille de sang. Cette femme avait tellement sacrifié pour lui, pour son bien-être, qu'il se devait de tout faire pour l'aider en retours.

Le rouquin hocha la tête à la présentation du jeune homme. Comme il s’y attendait, il répondit de la même manière, ce qui lui permis de noter le prénom du jeune homme. Et d’également constater que Morgan lui avait donné la vraie identité de son interlocuteur, ou encore une fois, que les deux hommes s’étaient mis d’accord. Ce qui, avouons le, aurait été se compliquer les choses pour rien surtout vu la menace proche de zéro qu’il représentait pour tout le petit groupe.

Il se contenta donc d’écouter simplement ce qu’Edouard avait à lui raconter après qu’il ait pris place par terre. Le résumé fut plutôt succinct et il ne put s’empêcher de légèrement pencher la tête sur le côté sans jamais le quitter du regard quand il évoqua la maladie de sa tante. Il devait en être proche. Du moins, c’était ce que laissait penser la manière qu’il en avait de s’exprimer et de réagit à ses propre parole.
Il prit le temps de réfléchir quelques instant avant de lui offrir une quelconque réponse, se remettant en clignement de paupière dans son rôle d’herboriste. Cinq mois de maladie, quand on vit dans l’environnement inhospitalier et malsain des mines, c’est en général beaucoup - beaucoup trop. Et si une flopée de solution avaient déjà danser dans son esprit, il ne pouvait pas juste en prendre une au hasard.

« Je vais te poser quelques questions. Tu n’es pas obligé d’y répondre, mais plus j’en saurais, plus je pourrais… penser à quelque chose d’adapté. »

Il préférait que les choses soient claires tout de suite. Dans le milieu, beaucoup de personnes n’aiment pas quand on s’intéressent de trop près à eux ou à leur proche. Mais dans le domaine du soin, mieux on sait à quoi on s’attaque, mieux on trouve un remède qui a des chances de fonctionner plutôt que de raccourcir les vies qu’on essaie de sauver. L’idéal restant de pouvoir discuter directement avec l’intéressé… quand cela est possible.

« Pour commencer, tu peux m’indiquer l’âge de ta tante ? Même approximativement. Tu dis que ça fait cinq mois. Tu peux me décrire comment ça a commencé et évolué ? Les symptômes par exemple. Qu’est-ce qui est venu en premier ? Je suppose qu’elle a de la fièvre. A quel degré ? Aussi sans doute de la toux et sans doute des douleurs au niveau des poumons ou de l’abdomen… Y’a-t-il eu d’autres signes particuliers ? »

Tout en parlant, il avait fini par décrocher les yeux du jeune homme pour les porter à nouveau vers l’étendue d’eau en contrebas, se plongeant dans ses pensées et ses réflexions. Il laissa ses doigts courir le long du bâtonnet de tabac. Il avait avant tout besoin de déterminer l’origine de la maladie. Il pourraient sans doute amoindrir les symptômes avec ce qu’il avait à la boutique, mais si jamais l’infection était virale, il ne pourrait pas se contenter simplement des remèdes. Mais rien ne sert de mettre la charrue avant les bœufs.

Raconter sa vie à un total étranger n'est pas une chose recommandable. On ne sait jamais ce que les gens pourraient faire des informations obtenues sur vous. Mais qui pourrait bien s'intéresser à un mineur lambda, perdu au milieu de centaines d'autres ? Le contrebandier ne savait pas qu'il était le meneur. Personne ne le savait d'ailleurs, sauf Morgan - et sa tante, qui du moins, s'en doutait un peu.
La, devant lui, il n'était qu'Edouard : un jeune homme sans histoire, faisant du bon travail, et ayant une tante malade. Alors donner quelques informations n'étaient pas si grave que ça.

« Je répondrais à tes questions. »

A toutes. Si Axel était en mesure d'aider sa tante Emilia, ou alors au moins de soulager ses douleurs et sa maladie, il ferait ce qu'il faudrait. Edouard posa alors ses mains sur ses cuisses, paumes contre le pantalon, et semblant faire une liste de tous les symptômes qu'elle pouvait avoir, ou avait eu. Car la maladie évoluant, il y avait des jours avec, et des jours sans. Et suivant ses journées, les symptômes de la femme n'étaient pas les mêmes.

« La maladie ne s'est pas annoncée, alors je ne peux pas vraiment te dire quand elle a commencé... Mais y'a quelques mois, elle a commencé à avoir des quintes de toux, de plus en plus souvent et violentes. Son souffle se faisait de plus en plus au cours au fil des semaines. Et puis, y'a trois mois, la fièvre est arrivée. Y'a des jours ou ça va, mais des jours ou elle monte facilement jusqu'à 40°. Elle est très fatiguée, elle perd l'appétit... Maux de tête récurrent, et puis elle a mal de partout, en général. »

Le mineur marqua une légère pause. Ses deux dernières semaines, son état avait pas mal empiré. D'habitude, c'était assez stable, même s'il y avait des hauts et des bas, les symptômes, il les connaissait bien et savait les gérer - plus ou moins. Mais ses derniers temps, il y avait autre chose, de plus grave. C'était d'ailleurs l’élément déclencheur qui alarma assez Edouard pour qu'il mandate Morgan de lui organiser se rendez-vous. Les yeux du jeune hommes s'assombrirent un peu. Il était inquiet, et ça ce voyait.

« Et depuis deux semaines environ... J'ai l’impression qu'elle n'a plus toute sa tête. Son pouls semble s'être accéléré, et elle raconte des choses absurdes. C'est comme si elle n'était pas vraiment la. Elle me confond avec mon père décédé, ou me demande ou est mon frère, alors que je suis fils unique. »

Les yeux du garçon brillaient. Il espérait du fond du cœur que ça tante pouvait être sauvé, et que cet herboriste avait dans sa poche une potion magique.

Axel écouta attentivement les réponses que lui fourni le jeune Edouard, sans l’interrompre ni faire de commentaire, se contentant de noter les informations les plus importantes de son point de vue. Parfois, il lui jetait un coup d’œil pour observait son visage lors de certains propos ou silences, mais durant la plupart du temps de ces explications, ses yeux étaient rivés sur le sol où ses doigts dessinaient d’étrange dessins dans la poussière de la caverne, rajoutant ou enlevant des lignes de cette liste imaginaire au fur et à mesure qu’il remettait les pièces de ce petit puzzle en place.
Il ne put d’ailleurs s’empêcher de froncer les sourcils quand le jeune homme commença à lui parler de ses problèmes d’hallucinations et de la perte d’un état mental stable, effaçant au passage une partie de son symbole d’un geste de la main suite à ces propos. Une légère ride horizontale commençait à barrer son front. Ce n’était pas bon.

Quand enfin il eut fini, l’herboriste releva le regard pour observer la personne assise à côté de lui. Son regard sombre brillait légèrement et le rouquin pouvait y discerner ce mélange d’inquiétude et d’espoir qu’il avait déjà vu tant de fois. Il retint une grimace. S’il avait connu - et fait - beaucoup de choses plus ou moins honorables dans sa vie, il y en avait bien une à laquelle il ne se ferait jamais et qui était la raison primordiale de ses choix de vies. L’histoire d’Edouard et de sa tante en était l’une des incarnations.
Ravalant son soupir, il se passa une main dans ses cheveux attachés, en dégageant quelques mèches qui lui tombèrent sur le visage.

« Merci. » Commença-t-il d’une voix basse. Il laissa passer un petit temps de silence avant de reprendre. « Je ne suis pas médecin, mais au vue de ce que tu me décris, je pense avoir mon idée de ce qui est en train d’arriver à ta tante. Si c’est le cas… Je ne pourrais au mieux qu’aider à apaiser les symptômes dans un premier temps. »

Le regard émeraude se porta à nouveau sur la surface aquatique, en plein réflexion. Il n’y aurait pas eu le facteur mental, cela aurait pu être une simple pneumonie, mais ça en plus… Les mines étaient un endroit privilégiées pour le développement de saletés bactériennes telles que la légionellose. Une eau à peine potable, souvent chauffée par la chaleur étouffante du désert ou contaminée par le saltz… Même si trois mois lui semblait long pour survivre à un telle maladie, Axel ne pouvait s’empêcher de coller ces pièces ensembles. Certaines personnes étaient bien plus résistantes qu’on ne le croyait.

« Sais-tu si d’autres miniers ont eu des problèmes de santé dans un temps plutôt court ? Quelques jours ou semaines après les premiers signes de maladie chez ta tante ? »

Il avait bien conscience que les maladies étaient communes chez les miniers, mais si jamais un puits d’eau ou une source avait été contaminée, plusieurs personnes aurait du subir des états… pires que d’habitude. Il regarda à nouveau Edouard et se permis un léger sourire qui se voulait rassurant ou tout du moins, calme. Il ne pourrait pas soigner cette personne seul. Les plantes pouvaient faire des miracles mais malgré tout, elles restaient inefficaces à lutter seules contre les maladies trop installées dans l’organisme.

« Je peux t’apporter certains de mes remèdes assez rapidement pour essayer de calmer ses douleurs. » Proposa-t-il. « Mais pour un traitement de fond… Il me faudrait l’avis d’un Érudit qualifié. Je peux essayer d’en trouver un avec qui parler, mais ça prendra du temps. Et encore plus d’obtenir des médicaments appropriés. »

Quelques nom défilèrent dans la tête du rouquin  : après tout, la contrebande avait aussi son petit réseau de personnes savantes qui acceptaient - contre échange intéressant - de partager leur savoir ou leurs stocks. Mais ils étaient peu nombreux et la persuasion devait souvent se faire à la dure, voire à la menace pour certain. Les altruistes ne courent pas vraiment les rues, à Draümbell.

Edouard se demandait bien comment cet homme pourrait l'aider... s'il pouvait l'aider. Il avait bien remarqué que le rouquin avait froncé les sourcils lorsque le mineur avait évoqué les délires de sa tante. Il se doutait bien que c'était une mauvaise chose, bien plus importante que de la fièvre ou de la toux. Mais, au plus profond de lui, le mineur espérait sincèrement qu'il était encore possible de sauver Emilia.
Edouard ferma quelques secondes les yeux... « je ne pourrais qu'aider à apaiser les symptômes » avait dit le rouquin. Alors, sa tante était-elle vraiment condamnée ? Le plus qu'il pouvait faire, c'était seulement de soulager sa douleur et ses délires, et attendre patiemment que la démence et la mort l'emporte ?
Ses poings se serrèrent sur ses cuisses, avalant la nouvelle. Essayant d'imaginer quelques secondes sa vie sans Emilia... Plus facile, certainement. Avoir une tante aussi malade n'est pas quelque chose de simple, surtout lorsqu'on est le meneur de la rébellion. Alors, si Emilia devait à disparaître, peut-être que dans un sens, ce serait une meilleure chose ? Edouard s'en voulait d'avoir ce genre de raisonnement. Sa tante était sa seule famille, et il ne pouvait pas l'abandonner, il l'aimait.
Et pourtant... il n'avait prit que peu d'argent pour des médicaments. Avait-il choisit la rébellion plutôt que cette femme ? Lui même ne savait pas. Un homme ne devrait jamais choisir entre son devoir et sa famille.

Il sorti donc de ses sombres pensées pour ce concentrer de nouveau sur les paroles du contrebandier. De mémoire, quelques miniers avaient eu des symptômes similaires oui, mais ils étaient mort bien avant que ça se dégrade plus. Cependant, une poignée de mineurs s'étaient plains de perte de souffle, d'hallucination ou autres choses de ce genre. Bien-sur, ce n'était pas eux-mêmes qui en avaient parlés, mais leurs famille ou proches.
Si sa tante n'était pas la seule à être dans ce cas... cela voudrait dire qu'une nouvelle maladie était en train de se rependre dans les bas-fond des faubourgs.

« Certains sont morts à cause de la fièvre et des douleurs. Mais c'est chose fréquente ici. Mais oui... Il me semble avoir entendu quelques miniers s'inquiéter de l'état de santé de leur proche. Ils parlaient d'hallucinations, de vomissements, de fièvre. »

C'était agréable de recevoir un sourire. Ce n'était pas grand chose, bien-sur, mais le rouquin faisait preuve de compassion et d'altruisme, et Edouard en avait bien besoin, à cet instant. Il lui rendit alors un sourire - beaucoup moins prononcé, un sourire triste. L'espoir de voir un jour sa tante sortir du lit devenait de plus en plus maigre, surtout lorsqu'Axel évoqua un Érudit. Faire appel à un autre avis, c'était cher. Rien n'était gratuit ici, surtout pas la gentillesse.
Il devrait bientôt prendre une décision qu'il ne voulait pas prendre : Piocher dans les économies de la rébellion, ou non ?

« Calmer la douleur serait déjà bien. Mais si tu as besoin d'un avis extérieur, je t'en prie, fait le nécessaire. Surtout si ma tante n'est pas la seule concernée, cela voudrait dire que plusieurs familles auraient besoin d'aide. »

Ça allait donc plus loin que lui, que sa tante. Si c'était une épidémie, peut-être que d'autres mineurs allaient être touchés par ce cas. Peut-être qu'il s'agissait d'une contamination... l'eau ? Mais les mineurs buvaient tous la même eau, alors pourquoi certains seraient épargnés et d'autres non ? Que de questions, et de problèmes, qui venaient s'ajouter en plus à ceux qu'ils avaient déjà.

Les propos du jeune homme étaient plutôt inquiétants, Axel ne pouvait pas dire le contraire. Si quelque chose couvait réellement chez les miniers et commençait à prendre une grande échelle… La situation pouvait dégénérer très vite. Une épidémie serait dévastatrice dans cet endroit où la majorité des habitants étaient déjà trop faibles pour avoir un corps capable de lutter contre les invasions bactériennes. Si la partie un peu trop douce de son esprit espérait malgré tout qu’il se trompe sur toute la ligne, celle réaliste et résilié était bien persuadé du contraire et cela dépassait complètement ses compétences, à la fois en tant qu’herboriste et de contrebandier.

Il se demandait ce qu’il pouvait faire. Même si les miniers commençaient à mourir à grande envergure, il y avait peu de chance que des gens de la ville ne fasse que s’en soucier. Et pourtant, cela creuserait encore plus la fracture actuelle. La famille royale se contenterait de répudier quelques nobles pour combler les trous et la roue morbide habituelle de Draümbell se mettrait en branle. Trouver un érudit qui prendrait sur lui de soigner toute cette branche de la population… Il n’était pas certain d’avoir ça tout le coude. Et Même en demandant l’aide William, qui avait pourtant le bras bien plus long que le sien, la partie serait risquée. Très risquée.

Le silence du rouquin après la constatation d’Edouard et son air sérieux se passait de paroles.

A nouveau, il se passa une main dans les cheveux en un tic nerveux, légèrement dépassé parce qu’il venait d’apprendre. Il devait avouer qu’il ne s’attendait pas une seule seconde à ce genre de nouvelles. Il essaya de pousser de côté ses pensées, laissant son inconscient faire une partie du travail à sa place pour se focaliser sur le premier problème. Une chose à la fois. De toute façon, il ne pourrait pas trouver de solution, ni dans l’immédiat, ni dans cet endroit.

« Laisse-moi quelque jours pour préparer mes remèdes. En attendant… Est-ce que tu sais comment purifier de l’eau avec du charbon ? Il serait bien que les personnes ayant des problèmes arrivent à boire une eau aussi pure que possible. Sinon, tu peux ramener de l’eau du lac, mais il faut être prudent, il y a pas mal de patrouilles en ce moment. »

L’eau du lac serait sans doute la meilleure solution, mais dans tous les cas… un bon vieux filtre à charbon à l’ancienne avec du sable ferait l’affaire et serait mieux que rien. Il faudrait réussir à isoler la source mais aux Mines… difficile à faire. Il retint un soupir avant d’effectuer un rapide calcul dans sa tête pour se remémorer les tableaux de passages des ouvriers que William lui avait trouvés.

« Je serais là dans cinq jours. Même heure. » Il se releva lentement et dégagea un caillou qui s’était coincés dans un repli de son habit. Ce dernier tomba avec un "plouf" qui se répercuta une petite seconde contre les parois. « Je sais que c’est compliqué mais si jamais… ce problème vient réellement de l’eau, il faudrait au moins la faire bouillir avant tout usage… Ça pourrait sauver des vies. »

La mine assez inquiète de l'herboriste ne rassurait pas vraiment le mineur. Surtout lorsqu'il demanda à Edouard s'il savait purifier l'eau... Alors le rouquin partageait ses doutes sur une potentielle contamination par les eaux. Si c'était la cas, alors plusieurs autres mineurs tomberaient malades sous peu, et ce n'était pas envisageable. Déjà que leurs conditions de vie étaient difficilement vivable, si en plus certains étaient pris par la maladie, ils auraient du mal à se battre pour survivre.
Edouard soupira alors, passant une main dans ses cheveux bruns et bouclés, tout en se grattant le crâne. La situation était compliquée. Il devrait faire passer le mot aux autres mineurs, pour les avertir de faire attentions et de purifier l'eau qu'ils boiraient.

« Oui, je sais purifier l'eau. Et j'apprendrai aux autres mineurs à le faire. Je préviendrais le plus possible de personnes de faire attention... »

Il n'était pas envisageable d'aller récupérer de l'eau au lac. Trop dangereux, et Edouard ne pouvait pas prendre le risque de se faire prendre : il avait une rébellion à mener. De plus, depuis que le vent de la révolution commençait à se propager, les patrouilles étaient de plus en plus fréquentes, les Contremaîtres souhaitant éviter un regroupement non toléré de personnes.
Lorsque le rouquin se redressa puis se releva, Edouard l'imita alors. Il était plus petit que le contrebandier, et devait donc lever légèrement la tête pour le fixer dans les yeux. Il tapota ses mains sur ses fesses, pour y retirer la poussière et les traces de terre.

« J'attendrai ton retours, en espérant d'ici là que la maladie ne se propage pas chez d'autres mineurs... et que celle de ma tante n'évolue pas. De mon côté, je tenterai de faire quelques recherches... Si l'eau est contaminée, il doit y avoir une cause, naturelle ou non. »

Et Edouard espérait que ce soit naturelle, auquel cas cela voudrait dire qu'une personne avait volontairement contaminé l'eau, pour rendre malade et tuer les mineurs. Déjà qu'avec ces histoires de meurtres et de disparitions, les habitants des faubourgs étaient stressés et angoissés, alors si quelqu'un s'amusé à les priver d'eau...

« Mais si la maladie se propage, il faudra beaucoup de remèdes... Et tu n'es pas sans savoir que nous n'avons pas de larges économies. »

Edouard pourrait peut-être payer quelques remèdes pour sa tante, mais pas pour d'autres. Il n'avait pas assez de ressource pour ça. Et certains mineurs n'avaient rien du tout. Alors ... peut-être que le contrebandier serait bien plus qu'un simple marchand, et qu'il ferait preuve d'altruisme ? A première vu, le rouquin semblait sincèrement compatir et désireux d'aider. De plus, si Morgan les avait mis en contact, c'était que certainement l'herboriste était un homme bien. Mais le rebelle n'était pas dupe : personne ne travaille gratuitement, surtout que préparer des soins coûte de l'argent. Axel aurait besoin d'argent, c'était certain. Un autre problème à résoudre...

C’était déjà un bon début si Edouard faisait passer le mot chez les mineurs. Ça n’éviterait pas tous les problèmes bien évidemment mais ça aurait au moins une chance de diminuer un peu les risques. Le rouquin hocha simplement la tête à la remarque du jeune homme quant à la possibilité des causes de cette saleté de maladie. Il n’aimait pas vraiment penser à ce genre de choses, malheureusement il savait que la nature humaine était parfois… décevante et cruelle.

« Je ne peux qu’espérer qu’elle soit naturelle… Peut-être que du saltz a pu entrer en contact avec des ruisselets souterrains lors des éboulements. »

Ce n’était qu’une possibilité parmi tant d’autres… Mais après tout, personne ne savait réellement les effets du saltz sur ce genre de choses. Rien n’était réellement impossible avec ce minerai. Mais à nouveau, tout ceci était bien au-delà de ses propres compétences et il ne pouvait que faire des hypothèses sur le sujet.
Debout, Axel baissa légèrement les yeux pour observer Edouard, accrochant son regard. Il pouvait sentir sa détresse et ne pouvait s’empêcher de compatir, d’une certaine manière. Il aurait aimé pouvoir faire plus. Mais à défaut de pouvoir le faire, il se contenta de lui offrir un nouveau sourire qui se fana doucement à la nouvelle phrase du minier.

« Malheureusement, je ne suis pas un magicien… Les remèdes que je prépare ont leur limite et j’en suis bien conscient. Si jamais nous faisons face à une réelle épidémie, j’ai peur que tout ceci soit hors de ma portée. Je peux essayer d’aider à mon échelle, en toucher quelques mots à des connaissances, mais c’est les érudits qui pourront réellement mettre un terme à tout ça. Je ne peux soigner une population entière à moi seul. »

Pour n’importe quel homme, c’était une tâche impossible. Il pouvait pousser, donner l’idée à William, potentiellement même essayer de créer un scandale avec son aide dans le centre et la ville haute en jouant sur la peur des gens - que l’épidémie se répandent ou qu’ils soient envoyés aux mines à la place des morts - mais c’était tout ce qu’il pouvait faire à son échelle. Il n’était pas un Dieu, et l’aide qu’il proposait avait, tout comme son métier, ses limites.
Il se gratta légèrement la tête, dégageant une mèche rebelle. Les érudits pouvaient y mettre un terme, oui… Ou bien juste une extinction de tous les miniers présents le temps que l’eau se purifie toute seule avec le temps.

« Une étape après l’autre. Je ne peux pas revenir plus tôt et il faudra laisser un peu de temps à ce que je vais t’apporter pour voir si ça peut vous aider ou non. Si jamais il y a moins de malade en commençant à filtrer l’eau… On verra ce qu’on peut faire. »

Il ne pouvait malheureusement pas proposer plus.

Le rouquin semblait compatir au sort d'Edouard, à celui des mineurs. Ça ce voyait dans ses yeux, que c'était un bon gars. Pas l'un de ses opportunistes qui auraient vu la détresse du meneur comme une occasion de lui soutirer le peu d'argent qu'il avait en possession, et de faire des remèdes à la va-vite, car de toute façon la vie des mineurs n'étaient pas vraiment considérait comme importante. Mais Axel ne semblait pas de ce genre, et c'est pourquoi Edouard l'aimait bien.
Le contrebandier semblait vraiment soucieux d'aider ses frères. Alors, dans un petit sourire maladroit, il plongea ses yeux dans ceux du rouquin.

« Aider à ton échelle est déjà beaucoup plus que certain accepte de faire. Fait ce que tu peux, et de mon côté je tâcherai de limites les risques. »

Maintenant, les deux savaient ce qu'ils devaient faire, et ça ne servait à rien de rester ici plus longtemps, hormis pour continuer à parler de cette chose inquiétante, et ne mettre encore plus d'angoisse dans le cœur des hommes. Épargnons ça.
Le mineur s'approcha alors d'Axel et lui serra la main, signe que les deux hommes avaient terminé leur échange. Il fallait qu'il pense à remercier Morgan, car déjà le contrebandier allait certainement pouvoir aider sa tante - ou du moins la soulager des ses douleurs pendant un temps - mais surtout que c'était toujours agréable de rencontrer une personne qui se souciait des autres. Ils étaient trop rares, dans ce monde pourri.

« Merci pour ton temps. On se revoit vite. »

En espérant que d'ici leur prochaine rencontre, les choses n'auront pas trop évoluées. Mais c'était peu probable, car en seulement deux semaines l'état d'Emilia s'était pas mal dégradé.
Dans un dernier sourire de remerciement, le meneur s'éloigna alors, et très vite il disparut au détours d'une branche des souterrains, retournant dans ses sombres pensées - mais avec un certain espoir que des jours meilleurs pourraient peut-être arriver, grâce aux remèdes du rouquin.