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 Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.

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MessageSujet: Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.   Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum. EmptyLun 12 Nov - 21:00

Winnie était celle qui lui avait rapporté l'information - certaines mauvaises langues parleraient de rumeur, mais Winnie était une suivante aussi attentive qu'elle était une espionne efficace. Cela faisait un moment qu'Agnes songeait à l'éventualité de reprendre contact avec Ulric - depuis qu'il était devenu Maître de la Forge, à peu de choses près, mais il serait bien malaisé de l'accuser d'opportunisme. Elle était, après tout, bien davantage muée par une sincère curiosité de se retrouver en tête à tête avec lui que d'exploiter son nouveau statut social. L'un n'excluant pas l'autre, elle songeait également aux avantages politiques qu'elle pourrait en retirer, évidemment ; elle était assez honnête envers elle-même pour ne pas le nier. Néanmoins, Ulric et elle avaient partagé une relation... disons, particulière quand ils étaient plus jeunes. La jeune femme, en tout cas, en gardait un souvenir très chaleureux, même si les aléas de leurs vies respectives les avaient irrémédiablement éloignés. Changés, aussi, mais il restait à voir s'ils s'accordaient toujours malgré tout cela.

Elle avait envoyé Lucia négocier avec Ulric, une autre de ses suivantes les plus fidèles. Elle lui avait demandé de transmettre des conditions simples : un anonymat absolu, une après-midi entièrement réservée à cela, une rémunération équivalente au temps investi et, évidemment, une séance d'essai qui ne les engageait à rien ni l'un, ni l'autre. Sans que cela ne l'étonne trop, Ulric avait accepté. De manière beaucoup plus surprenante, il l'accueillait directement chez lui pour ce faire.
Agnes ne se doutait pas du fait que sa nouvelle position lui accordait une certaine immunité, néanmoins elle ne s'attendait pas réellement à ce qu'Ulric la reçoive au sein de sa demeure pour une activité illégale. Certes, elle avait fait en sorte qu'il pense, de son côté, qu'elle n'était qu'une noble lambda qui désirait que personne n'apprenne ses occupations... mais tout de même, Ulric ? Elle allait devoir faire en sorte de rejoindre sa demeure incognito lorsque le fait qu'elle quitte la haute ville était déjà exceptionnel.

Ce qui ne l'empêcha pas de se présenter au rendez-vous à l'heure convenue. Il était assez compliqué pour elle se passer inaperçue en temps normal, aussi fit-elle en sorte de ne pas chercher à se dissimuler. Personne, après tout, ne connaitrait la raison qui la poussait à se rendre aux quartiers résidentiels du centre ville, et quelques discussions détachées lui permirent de prétendre qu'elle se rendait directement chez son tailleur - ce qui était parfaitement crédible ; même si d'ordinaire c'était aux artisans de venir à elle, il était plus probable qu'elle se présente chez eux plutôt qu'elle ne réserve leur boutique étriquée.
La servante qui vint lui ouvrir la porte eut l'air particulièrement surprise de la voir, mais Agnes lui présenta son sourire le plus affable tandis qu'elle retirait ses gants d'un geste calculé, laissant Lucia à ses côtés les présenter, elles et la raison de leur présence. La servante des lieux s'empressa alors de prendre ses affaires - Agnes ne lui offrant que ses gants susnommés et son chapeau, gardant sur elle le long manteau qui la recouvrait - avant de les mener jusqu'à un petit salon adjacent où devait l'attendre le maître des lieux.

La bienséance aurait voulu qu'on l'annonce ; Agnes, cependant, avait conscience du fait que personne ne s'attendait réellement à ce qu'elle soit là aujourd'hui. Elle s'occupa de se présenter elle-même à peine arrivée dans la pièce, un sourire avenant sur les lèvres tandis que Lucia, à ses côtés, s'occupait de faire une révérence respectueuse à leur hôte.
« Bonjour, Ulric. Excellent choix de décoration ; c'est à se demander pourquoi je n'ai jamais reçu une quelconque invitation officielle de ta part avant aujourd'hui. » Le voix était posée, le ton maîtrisé, le port altier et l'expression réservée - néanmoins, dans son regard clair brillait une once de malice, effaçant les éventuels doutes quant à une quelconque ironie. « Je prendrais du thé, merci. » glissa-t-elle ensuite à l'intention de la servante, semblant à nouveau la prendre de vitesse, avant de reporter son attention sur Ulric. Il y avait un vent de nostalgie, dans leur vis-à-vis, et si elle gardait à l'esprit les raisons de sa présence, elle ne put s'empêcher de se sentir revenir quinze ans en arrière. De se sentir un peu moins apathique que d'ordinaire, également, même si elle n'était plus l'adolescente candide de l'époque : elle avait changé, mais lui aussi. Il n'était plus à considérer comme un allié de confiance, jusqu'à preuve du contraire.


Dernière édition par Agnes Von Rosen le Mer 14 Nov - 19:33, édité 1 fois
Ulric De Clèves
Maître de la Forge
Ulric De Clèves
Ulric De Clèves
Ulric De Clèves
MessageSujet: Re: Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.   Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum. EmptyMar 13 Nov - 1:08

Ces derniers jours Ulric avait eu le sentiment d’être épié. Il avait bien cherché à piéger le malandrin mais celui-ci, ou peut-être celle-ci, avait réussi à lui échapper. Ulric ne s’en était pas inquiété outre mesure. Il savait qu’il n’avait pas que des amis, difficile de ne pas s’en faire lorsque l’on s’engage sur les routes du pouvoir. Il était loin d’imaginer que ce pusse être Agnes Von Rosen qui soit derrière. Elle n’était plus qu’un souvenir d’enfance, une personne qu’il avait chérie et considérait comme une amie, bien différente de la personne qu’elle était devenue. Mais lui-même avait perdu son innocence. Le temps les avait marqués. Il s’était sali les mains pour accomplir ses objectifs ; chaque jour il devait affronter le regard de l’homme qu’il voyait dans la glace. Un meurtrier, un menteur. C’était ce qu’il était devenu. Il était pourtant en paix avec lui-même, autant qu’il l’était possible lorsque ignorer le rideau de pluie rubis qui tombait sur votre vie n’était plus possible. Ainsi lorsqu’il vit venir une servante d’une noble qui lui demanda s’il pouvait réserver pour sa maîtresse une après-midi, pour une séance d’escrime, pratique qu’il n’exerçait pourtant pas à titre officiel, sauf lorsqu’il prenait soin de tester la qualité des lames quittant ses forges, il se méfia. C’était le genre de piège qu’il avait toujours craint de voir venir. Si cette servante était là c’est que quelqu’un avait parlé. L’un de ses serviteurs ? C’était peu probable. Ils étaient les plus à même de savoir ce qu’ils encouraient à le trahir. L’un de ses nombreux employés ? C’était possible mais il penchait plutôt sur les indiscrétions des quelques bretteurs qu’il avait pu trouver en ville. Il s’occuperait de trouver l’imbécile à la langue trop pendue, de lui régler son compte. Une rumeur ne le dérangeait pas, des témoins bavards c’était une autre affaire. Pour l’heure, il accepta de recevoir cette noble, renvoyant la suivante en lui demandant de mener sa maîtresse chez lui le lendemain, en début d’après-midi. C’était une décision risquée mais moins que de la recevoir ailleurs, dans un entrepôt, à la Forge ou un autre lieu dont il ne pouvait prétendre maîtriser totalement les entrées. De plus, il n’y avait rien de surprenant qu’il reçoive des membres de la noblesse chez lui. Il était un De Clèves, peu importait qu’il n’est pas encore regagné la ville haute. Mais plus encore il était fortuné et la noblesse aimait l’or au moins autant que le pouvoir. Il ne demanda qu’une information à la messagère : la taille et la corpulence de cette noble mystérieuse.

Une fois que la servante s’en fut partie retrouver sa maîtresse, il entreprit de se renseigner sur elle. Quelques pièces et l’information lui était délivrée. Il devait s’attendre à voir frapper à sa porte plus qu’une écervelée lasse des jeux traditionnels de sa caste. C’était surprenant et il n’était guère plus avancé.

Le lendemain, il quitta la Forge peu avant midi, demandant à ce qu’on envoie quelqu’un à son domicile en cas de besoin. De retour chez lui, il congédia ses serviteurs, leur donnant leur après-midi, ne gardant qu’une jeune femme répondant au nom de Sophia pour accueillir son invité et la guider jusqu’au salon. Elle avait ordre de ne revenir que pour apporter du thé ou lorsqu’il l’appellerait. Elle était muette comme une tombe mais d’une ignorance désolante dès qu’il était question d’étiquette. Il l’avait choisi exprès, d’une part parce qu’il était certain qu’elle ne parlerait pas de sa visiteuse et d’autre part parce qu’il se plaisait à l’idée de bousculer un peu la personne qui s’était décidé à lui faire observer les abîmes. Ulric prépara alors différentes épées, et quelques dagues dans le salon nord où il faisait plus frais de quelques degrés, disposant les armes sur une table basse, sans la moindre ornementation, poussée contre le mur blanc, recouvert de boiserie jusqu’à un mètre au-dessus du plancher. La pièce était austère, dénuée de toute décoration à part quelques armes décoratives, rappelant son métier. Il devrait sans doute y faire ajouter un banc mais il décida d’étudier cette question plus tard. Pour l’heure, il lui fallait effectuer les derniers préparatifs.

Lorsque ses invités arrivèrent, Ulric attendait devant la cheminée, tournant le dos à la porte. Il feignait de contempler les détails d’une horloge dorée. Il n’éprouvait toujours pas la moindre inquiétude. Le silence accompagna les bruits de pas de trois personnes lui arracha une grimace et il dû retenir un sifflement agacé lorsque ce fut la voix d’Agnes qui s’éleva dans les airs. Il aurait apprécié qu’elle soit annoncée, dans les règles. Il se retourna avec un air aimable, regardant son invité, et la servante de cette dernière en comprenant que la mystérieuse personne se trouvait devant lui.

Agnes plaisantait-elle en lui demandant pourquoi il n’avait jamais pris la peine de l’inviter officiellement jusqu’à ce jour ? Elle avait un air malicieux mais il ne se laissait pas convaincre si aisément, se rappelant que lui-même pouvait se montrer d’un sérieux des plus crédibles lorsqu’il racontait les plus éhontés des mensonges. Il considérait toutefois qu’elle ne faisait sans doute preuve que d’une once de malice, comme dans ses souvenirs et décida de répondre sur un ton proche tandis qu’elle découvrait la pièce aux murs orangés, au plafond peint de motifs floraux, décorés de quelques bibelots de petites tailles, acquis de ci de là au fil des ans.

«Il m’était bien difficile de trouver une raison acceptable de vous faire quitter la quiétude ennuyeuse de votre palais. J’espère que vous m’en pardonnerez, Princesse ! Toujours est-il : soyez la bienvenu en ma demeure. ». D’un geste de la main gauche, il l’invita à prendre place, à son choix, dans l’un des trois fauteuils ou la banquette alors que sa servante s’éclipsait pour préparer le thé, revenant dix minutes plus tard pour le servir, accompagné d’une assiette de biscuits secs -Ulric s’était montré particulièrement clair sur ce point, préférant éviter les nourritures plus pesantes avant les possibles efforts physiques-. Pour sa part, il prit place dans l’un des fauteuils, une fois qu’elle eut décidée de s’asseoir. Et entre temps il se remémorait une époque lointaine où il éprouvait une joie sincère à sa compagnie, aimait la distraire, où il lui donnait l’occasion de ne pas porter un masque. Il se rappelait encore que quelques mauvaises langues les destinaient à un avenir commun. Evidemment, il ne l’aurait jamais repoussé. Il avait toujours aimé la voir sourire, rire sincèrement. La revoir après tant d’années faisait vibrer une corde à son âme qu’il avait cru brisé depuis longtemps ; celle d’une affection sincère.

« Comment vous portez-vous Agnes ? Et surtout que puis-je pour vous ? ». Il connaissait l’objet de la requête mais ce n’était peut-être qu’un prétexte. Désireux de ne pas lui paraître trop méfiant, il ajouta avec un sourire « Je me suis assuré que nous ne soyons pas dérangés. Vous pouvez agir aussi librement qu’il vous plaira, comme autrefois. ». Il n’avait fait que rappeler ce qu’il lui avait dit, dans des termes semblables, une douzaine d’années plus tôt : qu’il n’avait que faire des convenances et que si elle souhaitait parler d’un sujet ou d’un autre, il serait là. Il n’avait jamais cherché à l’instrumentaliser, ni hier ni aujourd’hui. Il ne lui demandait même pas de lui faire confiance, sa fidélité lui était acquise, qu’elle doute de lui tout comme il doutait de ses motivations ne changeait rien à cela.


Dernière édition par Ulric De Clèves le Mer 14 Nov - 10:39, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.   Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum. EmptyMer 14 Nov - 2:43

Agnes accepta l'invitation d'un subtil hochement de tête entendu, se retournant brièvement vers Lucia qu'elle congédia d'un regard. Il n'en fallait pas davantage : ses années de service lui avaient appris à déceler les ordres jusque dans les gestes les plus insignifiants et sa suivante, à peine redressée, se courba à nouveau dans une révérence, accompagnant son mouvement d'un 《 Monsieur. 》 à l'intention d'Ulric. Elle disparut l'instant d'après, ses bruits de pas discrets étouffés par le claquement rythmique de ceux d'Agnes qui rejoignit le canapé à trois places sur lequel elle s'installa - pas tout à fait au bord mais loin du dossier, croisant ses mains sur ses genoux tandis qu'elle profitait de cet instant de flottement pour laisser son regard se balader sur la décoration.

Elle n'y avait pas prêté d'attention particulière jusqu'ici, sinon du coin de l’œil, et ce malgré le compliment offert à son arrivée devant son hôte. Quoiqu'il advienne, même si elle avait effectivement pris le temps de le faire avant, elle n'aurait jamais songé à modifier son discours : il était davantage question de convenance que de ressentiments, lorsqu'on flattait son vis-à-vis. Elle se rendait désormais compte à quel point c'était également le cas pour les goûts d'Ulric en matière de décoration ; tout, dans cette pièce, était d'une sobriété absolue. L'héritière avait beau tromper son monde sur bien des sujets, elle ne s'était jamais forcée lorsqu'il s'était s'agit d'esthétisme. Les murs du Maître de la Forge manquaient cruellement d'apparats et si les bibelots qui masquaient ça et là sa nudité témoignaient d'un assez bon goût, Agnes n'avait pas assez à se mettre sous les yeux pour être conquise.

Elle arrêta néanmoins là sa réflexion : regarder, certes, mais sans jamais fixer. Aussi intime avaient-ils pu être par le passé, Agnes n'était pas de ceux qui se complaisaient dans l'impolitesse à la première des occasions. Quant aux liens qui les unissaient encore, rien n'était moins sûr : s'il était une catégorie de personnes devant qui elle devait se montrer encore plus irréprochable que d'ordinaire, c'était bien celle qui avait peuplé son passé.
Reportant son attention sur Ulric, armée d'un sourire poli, elle ne put s'empêcher de remarquer à quel point il avait changé. Elle l'avait bien sûr déjà remarqué au gré des occasions officielles durant lesquelles ils avaient pu se croiser, de loin, mais c'était plus d'autant plus frappant avec la proximité de leur tête à tête impromptu.
Oh elle l'aurait reconnu sans mal, évidemment, mais il était plus musclé, plus mature aussi ; ils s'étaient quitté adolescent et se tenait devant elle un homme, sans doute l'un des plus puissants du centre ville. Elle n'était pas intimidée, mais elle devait reconnaître qu'elle avait sans doute plus à réapprendre de lui que ce à quoi elle s'attendait initialement.

« Je me porte comme un charme, je te remercie. Je suis désolée de te surprendre ainsi, je voulais m'assurer que ma visite reste entre toi et moi, autant que faire se peut. Je crois d'ailleurs avoir pris ton employée au dépourvu... » Si elle apparaissait à peine contrite, ce n'était pas tant pour marquer sa compassion envers la jeune fille que pour rappeler subtilement à Ulric son désir de discrétion. Elle ne serait d'ailleurs pas sans s'assurer de le faire comprendre à la concernée lorsqu'elle reviendrait une dizaine de minutes plus tard, mais présentement son sourire poli revint prendre place sur son visage tandis qu'elle reprenait le fil de la discussion. « Tu as déjà sans doute deviné que mes intentions allaient au-delà de la découverte de ton loisir martial, cependant je dois admettre que mon intérêt est parfaitement bénin et que je suis particulièrement enthousiaste à l'idée de recevoir une leçon sur le sujet. Mais écoute moi monopoliser la conversation sans t'avoir retourné la question la plus essentielle ! Comment vas-tu, Ulric ? Tu as l'air en forme. Ces cinq dernières années ont l'air de t'avoir sis ; et crois-moi, j'ai entendu bien des avis quant à ta nomination à la Forge, mais jamais celui qui mériterait qu'on lui prête de l'attention : le tien. »

Sa curiosité semblait parfaitement honnête - et elle l'était, au demeurant, mais la question n'était pas aussi innocente que le timbre de voix qu'elle empruntait. Elle ne lui ferait pas l'offense de prétendre ignorer le chemin qu'il avait emprunté pour en arriver là où il en était mais malgré ses dernières paroles, il ne la rassurerait jamais assez pour qu'elle se permette d'aborder directement les sujets qui la tracassaient. Et elle avait bien trop peur d'effectuer cette introspection, mais si elle prenait le temps d'y réfléchir, elle ne penserait même plus en être capable : à force de mentir aux autres et à soi-même, on en faisait une vicieuse normalité.


Dernière édition par Agnes Von Rosen le Mer 14 Nov - 19:29, édité 2 fois
Ulric De Clèves
Maître de la Forge
Ulric De Clèves
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MessageSujet: Re: Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.   Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum. EmptyMer 14 Nov - 14:44

Point de chaperon pour cette rencontre. Une marque de confiance, même infime, même si le choix d’Agnes de congédier sa suivante n’était sans doute motivé que par la volonté de parler plus librement, sans témoin. Il adressa un bref signe de tête polie à la servante. Il prenait toujours soin de montrer une certaine attention aux serviteurs, à toutes ces abeilles industrieuses sans lesquelles bien des choses ne se feraient pas. Il travaillait son image, montrait un jour aussi plaisant que possible, pour obtenir le respect, l’obéissance.

En observant Agnes, la laissant regarder les lieux, il essayait de la percer à jour. Il le faisait avec chaque visiteur, chaque personne qui s’adressait à lui, depuis toujours. Elle avait toujours été la plus difficile à percer. Il était si facile de mal interpréter un sourire, une lueur dans ses yeux, un frémissement dans sa mâchoire. Pour l’heure elle cherchait des réponses, sur lui, sur ce qu’il était devenu.

« Elle a le mérite d’être fidèle et silencieuse. Je ne l’ai pas choisi pour la perfection de son service. » répondit Ulric, laissant entendre qu’il n’y avait nulle besoin de rappeler à son employée la nécessité de se taire sur cette visite. Il s’en était déjà occupé. Elle restait toutefois libre de faire les remarques qu’elle désirait. Il ne s’en offusquerait pas, de même qu’il ne s’offusquait pas que l’intérêt « parfaitement bénin » selon les propres mots d’Agnes pour l’escrime ne fut qu’un prétexte pour le rencontrer. Il l’écouta parler, sans l’interrompre, sans la quitter du regard. Il n’y avait rien d’indécent, il ne faisait que lui prêter l’attention qu’elle méritait à ses  yeux. Lorsque ce fut son tour de parler, un sourire se dessina sur ses lèvres. Les histoires sur sa nomination à la Forge étaient légions, plus folles les unes que les autres. Que pouvait-il lui dire ? Une partie de la vérité au moins.

« Votre conversation est le plus doux des breuvages, très chère. »
commença-t-il par une flatterie assez commune, dite et pensée de telle sorte qu’elle sonna juste et non faux comme trop souvent dans la bouche des courtisans. Il marqua une courte pause, trop pour laisser le temps à l’héritière de reprendre la parole, juste assez pour que ses mots fassent leur chemin, puis il reprit, calmement, pesant chaque mot avec soin. L’heure n’était pas à l’imprudence, à l’erreur. « Je me portes bien. Las des trop nombreux défauts de cette ville, il est vrai mais qui puis-je ? Je laisse les rêves illusoires d’un changement en profondeur aux idéalistes. Vous me trouvez sans doute bien fataliste, moi qui me montrai autrefois plus optimiste. Je n’ai pas perdu tout espoir pour autant. Vous dite que le temps m’a changé. C’est vrai. Vous le savez mieux que quiconque : côtoyer le pouvoir avili les âmes. Pour en gagner, nous perdons un bien précieux : l’innocence. ». Sur ces mots, il se pencha en avant, vers elle, de manière infime, pour appuyer ses propos par une proximité physique. « Je ne vous ferai pas l’affront de prétendre que je n’ai fait que prouver mon talent même si c’est grâce à lui que je suis ici. Vous vous souviendrez sans doute de la vague d’accidents, des meurtres du forgeron promis à un bel avenir et du Maître de la Forge. Les journaux en ont fait leurs choux gras, des articles s’interrogèrent à qui profitaient les meurtres. Je m’étonne toujours que nulle ne m’ait jamais inquiété pour cela. Mais vais-je me plaindre de la stupidité des hommes ? Non. Ai-je des regrets ? Oui mais pas pour cela. Je n’en ai qu’un seul en vérité : celui de vous avoir négligé trop longtemps. Mais voyez comme je m’écarte de la question… C’était mon avis sur ma nomination qui vous intéressait, non tant le chemin parcouru. Je ne dirais pas que j’ai eu ce que je méritais. J’ai eu ce que je désirai : un rang assez important pour être remarqué, pour avoir de l’influence. Pour regagner la capitale, il me fallait faire mes preuves devant mon père. Il a cru pouvoir me rappelait comme si je n’étais qu’un chien. Il s’est trompé. Il a agi trop tôt. La Forge n’était qu’une pierre à l’édifice. De quoi aurais-je eu l’air si j’abandonnai si aisément ce que j’avais obtenu si difficilement ? ».

Sa réponse était presque un aveu de ses crimes. Il n’affirmait rien, il ne proférait que des faits connus de tous. Il ne prétendait pas avoir su satisfaire sa curiosité et il ne l’avait pas souhaité. Il ne pouvait lui avouer la vérité, même s’il n’avait pris aucun plaisir à verser le sang. Il ne pouvait pas plus lui révéler son souhait de s’emparer des ombres de Draümbell. Un jour peut-être pourrait-il lui raconter sans mensonge, sans demi-vérités ce qu’il avait fait, ce qu’il avait accompli. Serait-il alors prisonnier ou roi des ombres était une question sans réponse. Il ne pouvait prédire le futur, seulement espérer qu’il aurait le temps de faire ce qu’il avait désiré.

« Mais et vous-même ? La presse fait votre éloge sans jamais faire plus que s’intéresser au verni. Ces années vous ont tout aussi bien marquées et si votre apparence n’a fait que s’embellir, votre regard n’est plus le même. Je ne puis que reconnaître cette brisure ou cette ombre qui affecte votre cœur, elle n’est que le pâle reflet de mes ténèbres. Vous n’êtes pas la seule à avoir perdu de vue les étoiles. La distance qui nous sépare n’est pas plus grande que celle qu’il me faudrait pour effleurer votre visage. Ce qui nous sépare n’est ni le temps ni nos rangs respectifs. Ce n’est que nos doutes, nos peurs. Comme moi vous vous demandez si la personne qui se tient devant moi est celle que j’ai connue, qui m’a appris à aimer alors que je croyais cela impossible. Cette question n’est pas la bonne. Sommes-nous capable d’oublier de nous mentir, de parler à cœur ouvert, sans faux semblants comme nous le faisions autrefois ? Voilà la question ! ».

Par ces mots prononcés avec éloquence, d’une voix animée de sentiments sincères, il affirmait la comprendre, n’avoir aucunement peur de découvrir celle qu’elle était devenue. Il prétendait être proche d’elle, il mentait. Il pensait Agnes bien loin de lui en vérité. Elle avait connu l’ombre sans s’aventurer si loin qu’aucun retour n’était possible. Ulric considérait avoir perdu son âme, l’avoir damné à quelques enfers pour l’éternité. Il ne cherchait même plus à la racheter, à laver le sang sur ses mains. Alors il pouvait bien accueillir un peu plus de noirceur, lui offrir une chance de ne pas taire des sujets qui lui tenaient à cœur, qui la rongeaient comme une gangrène.

« Nulle trahison de ma part il ne vous faut craindre car à la toute fin, lorsque la dernière heure aura sonné à la pendule d’argent, que tous vous auront abandonné, agonisante au pied d’un trône maudit, je serais toujours là. J’aurais perdu toute trace de lumière, porterai une armure de ténèbres et un masque plus effrayant que tous ceux jamais portés mais je serais toujours votre ami, vous aimant comme au premier jour, brandissant une lame imprégnée du sang de ceux qui voulurent m’empêcher de vous libérer de votre fardeau, de briser les chaînes vous retenant prisonnière de votre tragédie. ». Ces paroles, cette promesse il l’avait faite la veille de son départ pour le centre. Il n’avait que seize ans à l’époque et s’il savait déjà à l’époque qu’il lui faudrait abandonner l’innocence pour satisfaire à son rôle, il ignorait qu’un jour il prononcerait de nouveau ces mêmes mots en étant devenu ce qu’il avait prétendu être son avenir. Il avait presque envie de rire. Il ne lui manquait que l’épée, il avait déjà le reste. Il n’était pas certain jusqu’ici de jusqu’où il était prêt à aller pour Agnes mais ses doutes s’étaient envolés comme les premières feuilles de l’automne sous la brise. Il savait désormais qu’il ne pouvait tourner le dos à une personne qu’il avait tant chéri. Elle était la plus belle raison de se battre. Ulric avait toujours eu un goût pour la tragédie. Il ne rendrait jamais le monde meilleur, il préférait vivre selon son cœur, qu’importe qu’il ne doive s’élever pour tomber des plus hauts sommets car au moins il aura fait librement son choix.
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MessageSujet: Re: Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.   Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum. EmptyDim 18 Nov - 1:54

Elle l'écouta patiemment, silencieusement, sans l'interrompre de quelques manières que ce soit, le regard rivé sur son visage sans trahir la moindre expression sinon l'intérêt innocent qu'elle arborait depuis qu'elle avait posé la question fatidique. Agnes ne pensait pas recevoir une telle réponse aussi peu de temps après son arrivée - à vrai dire, elle ne s'était pas réellement attendu à grand-chose non plus, ce qui rendait son étonnement d'autant plus facile à ravaler.
Il confirma, sans pour autant s'avouer explicitement coupable, quelques rumeurs qui s'étaient construites sur son dos depuis sa nomination professionnelle. C'était une chose sur laquelle il n'avait pas besoin de revenir ; Agnes ne s'intéressait peut-être pas autant à la politique que son frère mais elle n'avait d'autres choix que de prêter l'oreille à de tels événements, a fortiori lorsque le concerné faisait partie d'une famille comme celle des De Clèves. Outre le mépris que la jeune femme vouait au chef de ce véritable clan, ce patronyme avait désormais bien trop d'importance pour ne pas surveiller les faits et gestes des personnes qui le portait. Ulric était son ami d'enfance, de surcroît : sa curiosité n'avait été que davantage piquée au vif. Sa surprise actuelle, de ce fait, provenait davantage du fait que le Maître de la Forge se laisse aller à une telle verve en sa présence, eux qui ne s'étaient plus revus depuis si longtemps et qui, Ulric le souleva à son tour, n'étaient foncièrement plus les mêmes.

Mais Ulric ne se laissait pas déstabiliser pour si peu, il fallait croire ; comme pour répondre aux interrogations muettes de la jeune femme, il se laissa aller à une envolée lyrique où il lui réitéra tous les bons sentiments qu'ils avaient pu se partager plus jeunes. Elle le savait poète, en avait été la cible à maintes reprises, et si ces belles paroles n'avaient pour le moment pas à faire rougir les lettres qu'il lui avait écrites par le passé, elle reconnaissait bien là le talent inné du brun pour la prose. Mais le temps n'était plus à la nostalgie - ou alors n'était-il question que de ça, car c'était avant tout une déclaration que lui faisait Ulric, confirmant ainsi les éventuels doutes qu'elle avait pu avoir jusque là.
Agnes était accoutumée à cela. Ses courtisans étaient nombreux et les compliments étaient une monnaie d'échange, à la haute ville : l'on achetait autrui à grands renforts de flatterie, tentait de s'attirer des faveurs en s'extasiant sur l'autre, à la recherche systématique de la moindre qualité pour l'embellir, la grossir, tenter de persuader de sa sincérité. Agnes ne doutait pas de ses qualités, essentiellement physiques mais également caractérielles : son personnage parfait était tant travaillé qu'au-delà d'un quelconque narcissisme, son assurance découlait bien davantage du bon sens. Là où l'hésitation pouvait être de mise, c'était l'honnêteté d'Ulric dont elle n'était pas sûre : essayait-il de l'attendrir ? Était-il motivé par la passion ou l'opportunisme ? Déchiré, torturé comme il le prétendait, ou bien tentait-il simplement de cerner sa réaction pour mieux définir ses possibilités futures suite à leur entrevue ?

Une solution comme une autre ne changeait pas grand-chose à sa réaction ; Agnes jouait l'ingénue comme certains respiraient, s'armant de sa douceur féminine comme l'on maniait un fusil - la fleur néanmoins ne se trouvait plus au bout au canon mais entre ses lèvres purpurines, là où des canines acérées se chargeront de prendre le relais au moment adéquat.
Une solution comme une autre ne changeait pas grand-chose à sa réaction, parce qu'à partir du moment où on lui offrait de l'attention, Agnes se l'accaparait sans ménagement, sirène - ou requin - à l'affût qui se nourrissait des égards à défaut de pouvoir se rassasier d'affection.
Ulric était chanceux, en un sens : il était une relique du passé et elle se contenterait simplement du strict nécessaire, avec lui. Peut-être même prendrait-elle un honnête plaisir en sa compagnie, nouant un ersatz d'amitié ou, si rien ne se mettait sur cette route, une confiance toute relative.

Ses lèvres, arquées dans un sourire toujours charmant, se pincèrent subrepticement, trahissant l'effet des éloges qui semblèrent avoir fait mouche. Sa moue, presque timide, tentait visiblement de dissimuler un trouble plus profond, quant à elle.  Il n'y avait rien à trahir, rien à dissimuler, bien évidemment : mais ce n'était pas comme si on pouvait décemment la soupçonner du contraire.
« Je te trouve bien dramatique, Ulric. J'ose espérer ne pas rencontrer une fin aussi romanesque... Mais je n'oublierai pas ta promesse pour autant. » Qu'elle fusse sincère ou non, rajouta sa voix intérieure : une conclusion au demeurant qu'Ulric pouvait facilement deviner de son côté. Agnes ne parlait jamais plus que nécessaire, parcimonieuse dans ses mots quant à elle, toujours réfléchie dans son paraître : la différence entre ses quelques modestes paroles et le discours d'Ulric était abrupte mais elle trahissait bien l'évolution de la jeune femme. Éternellement secrète, certes, mais il était plus simple de ne jamais se trahir lorsqu'on limitait les occasions. « Je vais bien, pour répondre à ta question. Tu parles de la presse et je suppose que tu espères de ma part un récit plus rocambolesque que ceux des journaux, mais j'ai bien peur de ne pas avoir davantage à t'offrir que ce qu'ils racontent. » Parce qu'elle n'offrait rien de plus que ce qu'elle désirait montrer, en toutes circonstances.

D'un geste nonchalant, elle détacha les premiers boutons de son manteau pour en ouvrir le col, reprenant d'une voix curieuse : « Si je puis me permettre de revenir sur ce que tu as dit, sans vouloir outrepasser mes droits : tu as évoqué ton père et le fait de revenir dans la haute  ville. Est-ce là un projet que tu souhaites concrétiser bientôt, malgré ton refus initial ? » Il serait dommage - pour elle - d'avoir pris l'initiative de renouer contact aussi tard, mais elle ne pouvait s'en prendre à personne d'autre que les circonstances, éventuellement. « Ne crois pas que je sois motivée par le commérage, mais Charles l'évoque encore régulièrement et il m'est pénible de penser que cela puisse avoir une influence sur toi. » Il y avait une part de vérité dans ce qu'elle disait : tout ce qui incommodait Charles de Clèves lui procurait une certaine satisfaction et elle estimait suffisamment Ulric pour ne pas vouloir l'imaginer lui être aussi soumis que pouvaient l'être certains de ses frères et sœurs.
Ulric De Clèves
Maître de la Forge
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MessageSujet: Re: Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.   Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum. EmptyDim 18 Nov - 15:10

Agnes avait bien changé. Elle n’avait plus grand-chose d’ingénu, d’innocent. Elle ne croyait plus en la sincérité, l’honnêteté. Ce n’était pas une simple méfiance excessive ; le mal était plus profond, plus insidieux. Ulric en faisait désormais le constat. Peut-être avait-il était trop prompt à lui assurer sa fidélité, son amitié et ainsi éveillé sa méfiance mais il n’avait su retarder cette annonce, dont il se serait lui-même méfier comme de la peste. Il n’y avait rien à rattraper. Il voyait Agnes telle une statuette de verre brisée en de si nombreux éclats qu’il faudrait une éternité pour rassembler ne serait-ce qu’un millième de ce qu’elle avait été. Il avait l’impression détestable de ne rien pouvoir faire pour elle, ce qui ne l’empêchait pas d’essayer. Au contraire, cela ne faisait que le motiver d’avantage.

Il aurait aimé qu’elle abandonne ses airs impassibles, que sa surprise ne soit pas à chercher dans les tréfonds de ses yeux azurs. Du temps de leur jeunesse, elle n’avait eu presque aucun secret pour lui. Elle était désormais plus difficile à lire. Au moins Ulric avait toujours son sens de l’observation, son talent presque inné pour percer à jour les masques les plus travaillés et après son envolée poétique il n’était que plus criant que la jeune femme doutait de lui. Après tout, ses mots lui donnaient des airs de courtisan en quête du moindre détail à flatter. Il ne niait pas désirer lui plaire mais il n’était pas de cette engeance qu’elle ne côtoyait que trop. Il n’était pas un courtisan mais son ami sincère. Ulric n’était pas offusqué qu’elle envisage le contraire, il n’en était que peiné et c’était sans doute bien pire pour lui. Il voyait désormais l’ingénu apparaître, dissimulant les crocs d’une bête blessée aux abois, prête à mordre.

Ulric ne pouvait être sûr du sens à donner au sourire charmant, au pincement de ses lèvres. L’éloge pouvait bien avoir fait mouche mais rien n’était sûr, surtout avec la moue timide. Elle pouvait être aussi bien troublée que déçue ou encore assaillie de doutes. Elle prétendait qu’elle n’oublierait pas sa promesse et il la croyait, peu lui importait qu’elle ne sache s’il fut sincère. Ses actes parleraient d’eux-mêmes.

« Heureux de l’entendre. Je ne souhaitais de récit rocambolesque. Je ne désire que vous offrir une chance d’alléger votre cœur mais je vois désormais que nous sommes bien trop semblables. Nous craignons qu’être ceux que nous sommes réellement détruira ce pourquoi nous battons, que nous montrer honnête éloignera et détruira tout ce qui nous reste et qui nous est cher. Nous vivons dans un mensonge bien amer. »
. En disant cela, il ne l’avait quitté des yeux. Son ton avait était franc, apaisant. Elle n’aurait aucun mal à comprendre qu’il ne cherchait pas à glaner des informations pour la manipuler ; que son seul et unique souhait était celui qu’il annonçait. Il était bien placer pour connaître le poids du silence ; il ne se confiait plus à personne depuis longtemps.

Ulric esquissa un début de sourire en la voyant défaire les premiers boutons de son manteau, signe qu’elle ne comptait partir dans la seconde, vite chassé par un air plus sombre, froid, distant, à l’évocation de son père et de son potentiel retour dans la ville haute. Ce n’était pas un sujet qu’il trouvait plaisant, ni qu’il aimait approfondir. Il retrouva toutefois très vite son air naturel et amical, ne gardant qu’une infime moue pour toute trace de son manque d’affection envers son père.

« Je vous l’ai dit. Agissez ici comme il vous plaira. Je ne saurais vous empêcher de vouloir vous libérer des convenances et satisfaire vos moindres envies en privée. Je vous y invite même, aussi indécent et grossier cela puisse vous paraître ! » répondit-il tout en réfléchissant à la meilleure façon de répondre à la question. « Je regagnerai la ville haute, c’est vrai. Bientôt, je l’ignore. Père n’aime guère qu’on lui tienne tête mais il ne m’a jamais donné le sentiment de vouloir des moutons. Au contraire il devrait être fier d’avoir un loup parmi ses enfants. ». Ulric marqua une courte pause pour scruter le visage d’Agnes et, d’une voix grave, plus basse d’une octave, il ajouta « Et s’il se refuse à m’accueillir je ferai autrement, quitte à trouver une belle héritière sensible à ma cause ! ». La fin était à mi-chemin entre le sérieux et la plaisanterie, et le passé que les deux jeunes gens partageaient laisser entendre qu’il pensait là à Agnes. Elle était l’un des choix qu’il avait pris en considération, celui qu’il préférait car il avait de l’affection pour elle, mais elle avait un rang à part. Elle n’était pas un jouet entre ses mains.

« En tout cas, votre sollicitude me touche. Elle me rappelle combien votre compagnie m’était précieuse. ». Il lui adressa un sourire aimable, charmant mais pas charmeur. C’était son tour de trouver un nouveau sujet, relancer la conversation s’il ne voulait s’appesantir sur le sujet de Charles De Clèves, qui n’avait rien d’excitant. « Mais oublions donc un peu ce cher Charles et toutes ces petites choses fâcheuses. Je sais que vous l’avez en horreur mais ne le laissons pas gâcher ces précieux instants ! Quelle passion vous anime donc ces derniers temps ? Il doit bien y avoir un plaisir coupable que je pourrais vous aider à satisfaire et qui ne soit pas couvert jusqu’au plus infime et grotesque détail par la presse ou les rumeurs ! Et si vous préférez rester muette, dîtes moi donc quelle expérience vous avez du combat ? Si cela doit être notre excuse pour nous voir, nous pourrions en profiter pour ne vous rendre que plus merveilleuse ! ». Comme chaque fois qu’elle le lançait sur un sujet qu’il n’aimait pas aborder, il s’était mis à la bousculer, non sans garder une certaine douceur, la renvoyant dans des sujets tout aussi difficiles pour elle à aborder et cette fois elle était le sujet.
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MessageSujet: Re: Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.   Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum. EmptyMar 27 Nov - 4:55

Agnes était une femme compliquée à désarçonner : au-delà des précautions qu'elle prenait pour se dissimuler métaphoriquement aux yeux du reste du Monde, elle considérait autrui avec une telle apathie qu'il était remarquablement compliqué de lui arracher un sentiment honnête. Elle savait feindre tout un panel d'expression toutes plus variées les unes que les autres, excellait dans le domaine de la jeune femme candide, se permettait même de laisser entrevoir à ceux qui le désiraient qu'elle n'était après tout peut-être pas indifférentes à leurs charmes ; mais au fond, tout cela ne dissimulait qu'un ennui profond qui n'était motivé que par la survie. Sa situation l'obligeait à prendre des précautions et si la perspective de mourir lui paraissait parfois bien plus douce que celle de continuer à faire semblant, elle ne s'était jamais vraiment résolue à tout à fait abandonner.
Tout cela, donc, faisait qu'Agnes était une femme particulièrement difficile à désarçonner - mais tandis qu'Ulric soutenait obstinément son regard, il réussit à semer le doute dans son esprit en insistant à nouveau sur la nature sincère de ce discours d'affection renouvelé. Agnes n'était pas pour autant prête à le croire sur parole, mais il y avait du vrai dans ce qu'il disait, dans le fait qu'il la décrivait pour la première fois mieux que quiconque avait jamais su le faire. Il était avantagé, bien sûr : il l'avait connu si jeune, il ne pouvait que constater la triste différence. Toujours était-il que les propos firent mouche et si l'expression d'Agnes ne changea pas d'un pouce, trop habituée à conserver son masque malgré des remous intérieurs, elle se sentait un peu moins méfiante. Juste un peu moins.

Ulric lui donna l'occasion de rebondir sur autre chose sans avoir à s'attarder sur ce trouble et elle le saisit bien volontiers, levant gentiment les yeux au ciel à sa proposition qu'elle soupçonnait humoristique, se montrant par là bien plus amusée qu'autre chose. Son sourire ne laissait pas le doute quant à cet état de fait.
« J'ai toujours été une grande mécène des artistes, Ulric, et ton métier t'offre des possibilités infinies pour créer des œuvres d'art : je suis par conséquent déjà sensible à ta cause. » Puis, tandis qu'elle se penchait sensiblement vers lui, elle reprit sur le ton de la confidence : « Mais si c'est de mariage dont tu parles, j'ai bien peur de ne pas être la seule à avoir mon mot à dire sur la personne à qui je désire offrir ma main. »
Au-delà du fait qu'elle ne rejetait pas tout à fait l'éventualité par ces propos, elle lui révélait quelque chose dont il devait déjà se douter : la Reine avait bien plus son mot à dire qu'elle sur un potentiel mariage. Son premier époux avait été choisi par cette dernière : Ulric n'était pas sans le savoir. C'était il y a plusieurs années mais cela ne changeait rien à la donne.
Quant au fait d'avoir Ulric pour mari, Agnes ne s'attarda pas. On les avait murmuré destinés à cela, lorsqu'ils étaient adolescents, et aujourd'hui encore c'était une idée qui ne paraissait pas tout à fait abjecte à la jeune femme. Elle l'aimait sincèrement, à l'époque, d'une amitié dont elle retrouvait quelques traces durant leur présent tête à tête. Il y avait des perspectives bien pires à endurer, quoiqu'il en était.
« Manigances politiques à part, je ne peux que t'assurer mon soutien au besoin si jamais le besoin s'en faisait sentir. » conclut-elle sur un signe de tête entendu - elle n'avait aucune amitié pour Charles et n'aurait aucun mal à choisir un parti si la situation l'exigeait. Ulric était d'ailleurs la seule personne à être au courant : elle le lui avait confié, plus jeune.
Mais Ulric désirait abandonner le sujet et elle arrêta là ses confidences, se redressant sur le cousin pour reprendre une attitude plus digne.

« Ton insistance ne changera pas les faits, Ulric : si ce n'est ma curiosité pour ton... activité et au demeurant la raison de ma présence ici aujourd'hui, mes passions sont tout à fait raisonnables et ne sont un secret pour personne. Je pourrais te raconter à quel point je suis mélomane - te souviens-tu d'ailleurs à quel point je voulais t'apprendre à jouer du piano-forte ? Je suppose que sans ma supervision, tes efforts se sont relâchés. » Il n'y avait pas de reproche, dans sa voix, juste un amusement teinté de tendresse nostalgique, comme si ce temps insouciant lui rappelait des souvenirs précieux. « J'arrive à atteindre vocalement des nouvelles notes, aussi, depuis le temps. Pas assez pour concurrencer nos meilleurs cantatrices, j'en ai bien peur... Quelques uns de mes tableaux ornent les murs du palais, maintenant, mais mes talents en dessin sont bien inférieurs à mes talents musicaux et je soupçonne les compliments au sujet de ma peinture motivés par les conventions. Pas qu'ils soient horribles, mais je sais reconnaître des chefs d’œuvres à des tableaux parfaitement moyens. Et je regrette toujours autant d'être incroyablement mauvaise en sculpture. C'est là le seul secret que je puisse te confier et que la presse ignore. » Elle n'avait pas besoin de prendre sur elle pour parler de ce genre de choses : c'était bien les seuls loisirs qui lui procuraient encore du plaisir. « Mais pour en revenir à ta question, je n'ai pas d'expérience en combat. J'abhorre la violence en vérité mais je me suis dit que malgré les armes la chose devait davantage ressembler à une forme de danse ? » Ce n'était pas réellement une question mais sa voix se fit moins assurée sur la fin, plus instigatrice, comme si elle attendait d'Ulric qu'il lui confirme ses doutes. Ou qu'il les informe, au demeurant, parce qu'elle attendait de lui qu'il tienne sa parole et soit au plus honnête avec elle.
Ulric De Clèves
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MessageSujet: Re: Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum.   Le ciel était couleur d'opium, et l'on mâchait le même chewing-gum. EmptyMer 28 Nov - 11:00

Perturber Agnes était peut-être l’une des rares choses que le Maître de la Forge ne prétendait pas pouvoir faire à coup sûr. Entre sa parfaite maîtrise de ses émotions et réactions corporelles et son apathie rendait le moindre sentiment, même à peu près honnête, exceptionnelle. Mais comme toute personne qui ne se montrait sincère qu’épisodiquement, et par accident, elle dissimulait un profond ennui. Aussi quand Ulric parvint à semer le doute dans son esprit, il faillit ne pas le remarquer mais l’atmosphère s’était faite moins méfiante, ce qui était plutôt un bon signe.

Mais pour ne pas se laisser le temps de se questionner plus avant, Agnes avait rebondi sur ce qui était presque une boutade d’Ulric, lui affirmant qu’elle était déjà sensible à sa cause puisqu’il était un artiste de par son métier. Il ne répondit pas à cela, se contentant d’un simple sourire. Il appréciait le compliment, même si ce n’était peut-être pas sérieux et qu’elle n’était qu’amusée par sa suggestion. Toutefois, lorsqu’elle lui rappela que dans le cas où il parlait mariage, elle n’était pas la seule à décider, il se montra plus sérieux. C’était l’une des choses qu’il détestait le plus avec la noblesse : l’impossibilité de choisir seule. Tout devait être parfait politiquement. Il comprenait l’intérêt de faire le choix du bon parti mais un mauvais choix au regard de l’affection des époux n’aidait pas à montrer un couple heureux, ce qui était ô combien plus émouvant à montrer à la foule.

Puis, comme de toute façon, elle n’éprouvait pas la moindre once d’amitié pour Charles de Clèves, elle lui assura son soutien en dehors de toutes manigances politiques, ce qu’Ulric voulait bien croire. Il ne se rappelait plus trop les raisons à l’origine de cette animosité -il se rappelait pourtant bien qu’elle les lui avait confié dans leur jeunesse- mais ce simple petit détail suffisait à lui faire croire en la sincérité de ses propos. C’était bon à prendre et il l’en remerciait.

« Je saurais m’en souvenir et viendrais frapper à votre porte si le besoin s’en fait sentir ! » lui répondit-il avant qu’ils ne passent à des sujets plus reposés, comme leurs anciennes et actuelles passions. Ulric grimaça légèrement à la mention de ses « leçons » de piano-forte. Il n’avait jamais vraiment aimé jouer de la musique, préférant l’écouter mais il s’était toujours plié à cette lubie d’Agnes, et avait accepté d’apprendre avec le sourire.

« Je dois admettre que dernièrement je n’ai joué que de l’enclume-forte ces derniers temps. C’est le souci à être forgeron, nous martelons le fer et non les touches délicates d’un magnifique piano ! »
répondit-il avec un sourire, cachant comme toujours à merveille son manque d’attrait pour la chose. « Donc oui, je me suis relâché. Mais sans vous le plaisir n’était pas le même ! » et c’était vrai. Il n’acceptait de jouer que parce qu’elle était là à lui prodiguer nombres de conseils et qu’il aimait sa compagnie plus que tout. Ce temps était toutefois sans doute révolu et ne resterait rien de plus qu’un souvenir nostalgique et précieux.

« Il est rare que les artistes ne se montrent satisfaits de leurs œuvres. Combien n’ont pas dit « c’est immonde » en parlant d’un chef d’œuvre ? Quant aux flatteries… Je sais combien elles sont pénibles. J’en reçois moi-même si souvent de créatures méprisables à l’esprit si petit, si vide, persuadées qu’elles pourront m’amadouer… Mais ce n’est que du bruit dans nos oreilles. C’est fatiguant. Quant à votre absence de don pour la sculpture… Eh bien peut-être n’avez-vous simplement pas cette corde à votre arc. L’on ne peut tout savoir-faire. La perfection est une idée, un but que jamais nous ne pouvons atteindre. Sans imperfection, nous serions bien fades. Je ne vous donnerai qu’un conseil pour la sculpture si vous voulez poursuivre : trouvez le bon sujet, le bon type de sculpture. Cela a l’air évident mais l’on s’entête  parfois simplement à vouloir faire un Homme alors que nous ne saurions faire qu’un oiseau. ».

Il l’avait dit d’une façon naturelle, ne ressentant pas le besoin de se montrer des plus précautionneux, des plus attentifs à ces convenances qui auraient voulu qu’ils lui disent qu’elle était douée en tout ce qu’elle entreprenait. Cela aurait été un mensonge et ce n’était pas sous ce jour qu’ils avaient souhaité converser.

« Une forme de danse ? C’est là la vision des bourgeois et des nobles, sans vouloir vous offusquer. Je n’ai jamais cherché la beauté de la touche, les fioritures agréables à l’œil. Une arme est faite pour une seule chose : blesser ou tuer. La beauté des mouvements, comme la beauté d’une arme, est une chose malsaine. L’on n’admire pas une danse dans une salle de bal, l’on admire une danse en l’honneur de la Mort. C’est du moins ma conception et je ne saurais nier qu’il existe une forme d’escrime artistique, que je ne pratique pas. Cela me vaudrait d’être disqualifié pour faute si je participai à ce genre de jeu… ». Il avait répondu avec honnêteté. Il ne niait pas que c’était une danse mais seulement que ce n’était pas un jeu innocent mais pervers, dangereux.

« Je puis donc vous enseigner quelques mouvements pour vous permettre de vous défendre, ce qui n’est pas sans intérêt vu les dangers de votre existence mais peut-être, vu votre constitution physique, que vous seriez plus à l’aise avec des armes plus courtes, telles des dagues ou poignards ? L’on perd en allonge mais l’on gagne un atout non négligeable : il est aisé de l’avoir sur soi, même avec une robe. Il suffit juste de savoir comment la dissimuler pour ne pas éveiller les soupçons de l’agresseur et le surprendre. » ajouta-t-il, se disant que l’épée en robe ne devait rien avoir de pratique et qu’il devrait essayer un jour pour pouvoir bien suggérer toutes ces demoiselles, au besoin. Le problème restait qu’il faudrait faire venir un tailleur pour ça et que cela ferait jaser… C’était toutefois un problème dont il saurait s’occuper.
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