Une rencontre fortuite

Il était très rare que le ministre de l'intérieur vienne en ville pour aucune affaire excepté celle d'éventuellement satisfaire son estomac avec des plats originaux. Et encore, depuis qu'il était en poste, cela ne se faisait presque plus. Aujourd'hui c'était néanmoins le cas, pour une raison plus que précise : il désirait se rendre à la bibliothèque pour emprunter des livres. Certes, il pourrait demander au directeur de celle-ci de les lui faire emmener directement mais non, il n'aimait pas particulièrement. Il voulait toucher et pré-lire le matériel avant d'être sûr de ne pas perdre son temps à la lecture. Et puis c'était un lieu mixte qu'il appréciait, de par la diversité des origines et son ambiance.

Pour autant la tenue qu'il portait n'était pas moins élégante que d'habitude. Un costard blanc, une cravate un peu plus foncée d'un léger bleu, des chaussures noires cirées, son éternelle boucle d'oreille et bien sûr ses lentilles rouges. Le tout lui valait divers regards, admiratifs fuyants ou craintifs. Son entrée à l'université suscita rapidement l'intérêt et l'un des responsables fût dépêché alors qu'il ne désirait pourtant rien d'autre que se rendre dans un lieu de savoir. Il remercia poliment l'attention et se rendait de son propre pas dans cette belle bibliothèque. L'ambiance n'était pas totalement la même que d'habitude, si habitude l'on pouvait parler. Bien que le silence soit majoritairement requis, il avait l'impression qu'il l'était encore plus et d'une nature différente.

A son entrée, du bruit se créait de par son simple statut. Certaines personnes tentèrent aussi de lui poser des questions bien que la grande majorité préférait rester concentrée. Il répondit brièvement à certaines, notamment sur son travail et préférait lâcher ensuite, avec tact mais fermeté la discussion. Il n'avait pas vraiment beaucoup de temps, au final.

Le but précis de Lüwen était de trouver quelques informations diversifiées : sur le domaine médical pour les maladies des mines, sur l’ingénieure en général et les machines bien qu'il n'en existaient que peu.

Alors qu'il faisait le tour des allées un livre en main, le regard haut pour apercevoir les écritures il senti quelqu'un se prendre les pieds dans les siens. Qui n'avait pas regardé où il mettait les pieds ? Sans doute les deux individus.

Hors RP:

Les sourcils légèrement crispés, le jeune homme parcourait les allées sans prêter attention aux personnes autour de lui. Les documents et les planisphères qu'il débusquait le frustraient par leur inexactitude et leur imprécision désolantes. Soigneusement, il replaçait ses emprunts, sans tenir compte des regards rivés sur lui. Sans doute qu'il n'avait pas la carrure d'un passionné de connaissance. Ce qui prouvait qu'il jouait plutôt bien son rôle non? Même si, à vrai dire, sa présence éveillait sans doute des soupçons.

Ithier, un peu enfermé dans sa bulle, ne remarqua pas le changement d'atmosphère. Une grossière erreur de sa part. Tout à son enthousiasme pour les livres et sa curiosité finalement satisfaite, il n'entendit pas les conversations s'affolaient un moment ni les pas qui résonnaient juste à côté de lui. A vrai dire, il ne remarqua même pas la présence d'un autre être vivant, jusqu'à s’empêtrer les pieds dans celui de l'autre personne et se retrouver les fesses par terre, son gros grimoire rempli de ses notes ouvert à côté de lui.

Totalement déboussolé par cette chute très inattendue, il resta quelques secondes immobiles, les yeux ancrés sur les chaussures qui l'avaient fait chuté. Jolies chaussures par ailleurs. Très jolies. Élégantes, manifestement de la meilleure facture. Et sans doute très chères. Ses iris émeraude remontèrent jusqu'au visage de l'individu fort bien vêtu et son teint devint subitement blafard.

Le Ministre. Et le frère de son actuel employeur. Sautant sur ses pieds, il s'inclina prestement devant l'homme à la carrure impressionnante, n'osant pas vraiment le regarder dans les yeux... Ni se baisser pour ramasser ses notes. Quel idiot il faisait...

- Bonjour Monsieur le Ministre. Toutes mes excuses pour cette maladresse.

Hors RP:

A cet entremêlage de pieds Lüwen avait réussi à rester de marbre, tendant ses muscles pour ne pas tomber. L'habitude en public, s'il se vautrait parterre son image en prendrait un coup. Enfin, heureusement, ce n'était qu'une bibliothèque sans grand monde aujourd'hui et il était resté droit comme un pic. Ce ne fût pas le cas de l'autre personne. Il eut deux boum : le sien, et celui d'un livre et quelques petites feuilles. Avant de tourner la tête, Lüwen s'attendait à voir un étudiant en plein travail… et quelqu'un qui ne serait sans doute pas rassuré d'être tombé sur le ministre. Enfin, pas vraiment « sur », mais là n'est pas la question….

Sa première hypothèse était infondée, il ne s'agissait pas d'un étudiant, non, il pouvait reconnaître, Ithier qui servait son frère, Ulric. A moins qu'il ne prenne aussi des cours bien qu'il en doute. La deuxième hypothèse quant à elle était bien plus fondée. Le serviteur était tout blanc. On aurait presque pu penser qu'il avait vu un fantôme. Quelques secondes de plus à l'observer et le ministre lui aurait tendu la main, néanmoins, il n'en eu pas le temps, ni une ni deux le petit brun se releva avant de s'incliner pour s'excuser platement face au ministre. Il n'avait pas l'air bien rassuré. Mais soyons honnête, qui le serait ?

Comme n'importe quelle personne d'une classe plus basse que la sienne, il s'excusa immédiatement, mettant la faute sur sa propre maladresse et non sur l'inattention du ministre qui était réelle et mutuelle.

«  Ce n'est rien, je n'étais pas concentré sur mes pas non plus.  »

Sa voix n'était pas chaleureuse mais il semblait pas tenir compte de l'incident. Il n'allait pas faire un esclandre, cela ne lui ressemblerait pas. Il ne pouvait pas lui reprocher de faire plus attention, lui-même n'avait pas regardé assez bien son environnement. Faisant deux pas le ministre se pencha pour ramasser le gros livre, semblable à un grimoire qui était tombé ainsi que les feuilles de notes. Son propriétaire semblait l'avoir oublié. Son regard ne le parcouru que rapidement et plus automatiquement que consciemment mais il se disait que pour comprendre cela le serviteur devait en avoir dans la tête. Il lui tendit.

«  Relevez-vous donc.  »

Lüwen n'allait pas le bouffer. Ils étaient plutôt seuls dans l'allée alors on avait pas vraiment remarqué.

«  Vous êtes Ithier n'est-ce pas ? L'un des employés de mon frère.  »

Il ne pensait pas se tromper cela dit il préférait le vérifier.

«  Vous m'avez l'air d'être quelqu'un d'intelligent, pour comprendre cela.  »

Qu'on le prenne bien ou non, c'était là un compliment et c'était sorti tout seul, parce qu'il avait été un peu surpris. Il n'aurait peut-être pas du dire cela ? Hmm…

Un instant, Ithier se demanda ce qui était le pire entre chuter aussi disgracieusement devant un ministre ou chuter avec ledit ministre... Puis il se trouva parfaitement idiot. Mieux valait être ridicule que de rendre ridicule un noble... Ça n'avait de conséquences que pour l’ego au moins... Même s'il appréciait moyennement les regards moqueurs des quelques étudiants qui avaient vu la scène. Bah tiens... Ils n'auraient pas eu ce rire à peine contenu si le ministre était tombé...


Mais au fond, il s'en fichait bien. Le statut de valet lui apportait les moqueries mais surtout la tranquillité. Il était bien plus facile d'être valet que garçon de ferme ou agriculteur... Et même si Ulric se montrait strict et exigeant, il restait juste. Et ses tâches, à la portée de tous.


La phrase du noble le rassura légèrement... Mais il restait toujours le problème du livre... Alors quand il se redressa, il s'efforça de garder les yeux baissés en signe soit de timidité, soit de soumission. Une attitude de pur serviteur de classe basse. Mais, même son habit et son attitude ne pouvaient effacer en intégralité les notes studieuses et rédigées qu'il avait prise.


Gardant le silence quelques instants de plus, il récupéra son grimoire et le serra contre son torse. Tant pour se protéger que pour, inconsciemment, conserver ce qu'il considérait sien : le savoir et les espoirs qu'il mettait sur ces recherches... Même si elles s'avéraient parfaitement bancales pour le moment.

- Oui Monsieur le Ministre. Je suis Ithier, le valet de Monsieur Ulric.

Quand son interlocuteur lui fit ce compliment, il se retint de sourire. Son visage resta neutre. Oui il était intelligent... Mais ce n'était pas une qualité qu'on demandait à un simple serviteur. Aussi s'était-il appliqué à le cacher de son mieux à tous ses employeurs... Jusqu'à aujourd'hui... Non mais quel chat noir avait-il croisé pour tomber, le seul jour où il se laissait tenter par la connaissance, sur une personne de la stature de Lüwen?

- Et... Je ne le suis pas spécialement. Ce ne sont que quelques recherches pour servir au mieux votre frère.


Ce n'était pas un mensonge. Effectivement, ce qu'il apprenait aujourd'hui pourrait parfaitement lui servir pour remplir au mieux ses fonctions. 

Alors qu'il voyait le serviteur tout pâle le ministre pouvait entendre quelques gloussements de la part des étudiants. Dans une volonté autant de protection que de justice Lüwen les observa fixement quelques secondes avec un regard on ne peut plus réprobateur sur cette attitude bien peu courtoise et indigne de personnes fréquentant cette bibliothèque. Son intransigeance se développait parfaitement dans ce genre de contexte et ces jeunes là n'avaient pas intérêt à oublier qu'on ne se moque pas impunément d'autrui. Ainsi, leurs livres leur semblèrent d'un coup bien intéressants et ils se replongèrent dedans, voire quittèrent la zone où se trouvait le ministre et le serviteur histoire de ne pas subir les foudres de l'homme aux yeux carmins.

L'homme en face de lui serrait son grimoire contre lui une fois que le ministre l'eut tendu. Il avait l'air de tenir à l'objet et le ministre espérait qu'il ne soit pas abîmé. Il lui confirma d'ailleurs être le valet d'Ulric. Au moins il ne s'était pas trompé de personne. Enfin, dans tous les cas il aurait agit de la même manière.

Le compliment sorti tout seul de la bouche du ministre… avait pour but de rassurer ce serviteur tout pale. Il avait toujours l'air autant stressé pourtant et il ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi. Il avait presque la même attitude que les autres serviteurs : il avait la tête inclinée de façon presque naturelle, les yeux baissés, un langage corporel plutôt fermé et lorsqu'il recevait un compliment… était très, voire trop, humble. Aussi, il décida d'insister.

«  Pourtant vous lisez, et les recherches que vous faites, même pour Ulric, il faut les comprendre pour les résumer.  »

Mais pas trop non plus, il ne voulait pas le mettre plus mal à l'aise qu'il ne l'était déjà.

«  Vous avez l'air de tenir à votre grimoire, a t-il été abîmé dans la chute ?  »

Peut-être qu'il aurait voulu le vérifier mais n'avait pas osé face au ministre ?

«  D'ailleurs tant que j'y pense, vous ne sauriez pas où se trouve les livres sur l’ingénierie ?  »

En le regardant il était à moitié certain qu'il connaisse bien la bibliothèque… Et puis il n'avait pas envie de demander au directeur… il le collerait tout du long et poserait des questions…

Le regard désapprobateur du Ministre et le changement radical d'attitude des autres personnes surprirent grandement le petit valet. Ça, c'était parfaitement inédit. Il était très rare de trouver des haut-placés intéressés par ce genre de traitements assez injustes. Généralement, ça leur paraissait normal. Après tout, les classes inférieures ne méritaient pas la même politesse que les autres non ? Pas pour Lüwen apparemment. Ithier, lui, en avait l'habitude.


Ses longs doigts à l'aspect fragile serraient la tranche du livre à en rendre sa peau plus blanche. Malgré les années et les efforts qu'il faisait, Ithier ne pouvait que se sentir mal à l'aise face à des gens de la haute société et adoptait toujours une attitude trop polie et distante, évitant tout contact direct. Mais quand le Ministre poursuivit ses remarques sur son intelligence, ses iris émeraude plongèrent dans celles, sanguines, de son interlocuteur. Une fraction de seconde. Peut-être une fraction de seconde de trop.


Car dans son regard, qu'il n'avait jamais su maîtriser à la perfection, se voyaient toujours les traces de l'éducation et de la vie qu'il avait vécu lors de ses jeunes années.


Mais déjà, son regard se reposait sur le grimoire qu'il avait écarté de son torse pour l'examiner avec attention. Les pages étaient un peu cornées... La couverture légèrement plus abîmée et la page de couverture déchirée. Mais il était trop sage - dans tous les sens du terme - pour en faire la réflexion à Lüwen.


- Un valet doit savoir s'adapter au besoin de son maître. Peut-être est-ce là une forme d'intelligence?


Une nouvelle fois, il s'efforçait de ne rien montrer. Les mots du ministre ne le flattaient aucunement. Au contraire, ils l'inquiétaient. Cet homme, certainement très intelligent, pourrait très bien s'intéresser d'un peu trop près à lui.

- Oh... C'est un vieux souvenir de mon pays... Et il est sauf, il n'y a pas d'inquiétude à avoir. Il n'a aucune valeur.


En plus, ces feuilles en avaient vu d'autres. Des vertes et des pas mûres. Trimballé depuis plus de dix ans, le document était en très bon état. C'était d'ailleurs le seul élément de son passé qu'il n'avait - par orgueil ou par solitude - pas réussi à jeter. Et déjà, Lüwen changeait de sujet. Assez empressé à l'idée de dévier du sujet à risque, il répondit par automatisme.


- Si. Les livres d'ingénierie se trouvent deux allées plus loin... Mais il n'y a pas énormément d'ouvrages...


Ses sourcils s'étaient à nouveau froncés alors qu'il parlait, comme si sa frustration était plus forte que son comportement. Les quelques livres qu'il avait aperçus étaient totalement incomplets, ce qui les rendait très agaçants. On en apprenait bien plus rien qu'en se baladant dans les jardins. Puis il se  rendit compte de ses mots et ses yeux s'écarquillèrent une seconde. Mince...

- D'après ce que j'ai entendu dire.


Il s'était empressé d'ajouter cette phrase en se maudissant pour son indéfectible curiosité. Elle allait clairement le mener à sa perte un de ces jours...

Alors qu'il tentait de faire un compliment en insistant légèrement sur la forme son regard croisa celui de son vis à vis. Certainement d'une façon accidentelle, car il n'avait pas l'air sûr de lui et peu de personnes osaient le regarder. Pour autant il ne pouvait que confirmer ce qu'il pensait. Bien que l'on ne puisse pas caractériser cela comme ça, il pourrait jurer qu'il n'avait pas le regard d'un « idiot » et pour une raison inconnue il ne souhaitait pas qu'on découvre qu'il savait des choses que certains ne pourraient pas comprendre. Du moins c'était ce qu'il en déduisait.

En effet, il disait qu'il s'adaptait aux besoins d'Ulric. L'adaptation, pour le ministre, était une grande forme d'intelligence, mais il ne parlait pas de celle-ci, bien qu'elle devait sans doute faire parti.

«  S'en est une, en effet. Du moins je le pense.  »

Il décida d'arrêter d'insister et se concentra plus sur ce grimoire qui avait l'air on ne peut plus précieux, cela se voyait à la manière dont il le tenait, il avait l'air attaché. Encore une fois, ce n'était qu'une déduction, car il aurait aussi pu serrer l'objet par timidité, par réflexe, parce qu'il se trouvait face à lui. Cette deuxième hypothèse fut renforcée par les dires du valet mais le ministre n'était pas sûr d'y croire. Là non plus il n'insisterait pas. Ce n'était aucunement ses affaires. Il hocha simplement la tête.

Il décida donc de se contenter de lui poser une question pour se repérer dans cette bibliothèque qu'il ne visitait que rarement. Sans grande surprise il lui indiquait précisément où étaient rangés les livres tout en ajoutant qu'ils étaient malheureusement peu avant de rapidement compléter, après un blanc, que c'était ce qu'on lui avait dis. En se fiant à ce qu'il ressentait, le ministre détecta ce troisième mensonge. Néanmoins il comprenait, en partie. Actuellement il lui imposait sa présence et il ne voulait pas déranger cet individu plus longtemps. S'il lui posait des questions sur où trouver des livres plus complets il sentait qu'il allait le mettre mal à l'aise.

«  Je vois. Merci pour cette information. Sur ce.  »

Il préférait laisser le domestique. Lüwen n'était pas le genre d'homme à imposer sa présence. Souvent, lorsqu'il se rendait quelque part il mettait les gens mal à l'aise. Discuter avec quelqu'un n'était pas quelque chose d'aisé et le ministre l'assumait car cela était inhérent à l'image qu'il donnait. Alors il se rendit dans l'allée désignée pour en prendre.

Hors RP:

L'esprit de déduction du ministre s'avérait très  affûté. C'était ça, plus que son statut, qui inquiétait le valet. Pour tromper un idiot, même un noble, il en fallait peu. Un regard baissé, des vêtements trop grands, une attitude effacée et un mutisme partiel.

Mais tromper une personne intelligente demandait beaucoup plus d'efforts et de risques. Peu importe le statut de la personne. Il fallait faire beaucoup mieux que ce qu'il venait de faire. Clairement, la surprise de la rencontre dans ce lieu peu familier et la chute un peu fracassante l'avaient déstabilisé. Et baisser sa garde, même en partie, faisait courir des risques imprévus et agaçants.

- En ce cas, j'espère disposer de suffisamment de cette intelligence pour servir au mieux votre frère.

Et contrairement à ce qu'il avait dit, son grimoire était précieux. Tant au niveau du contenant - bien que les âges aient quelque peu ternis sa beauté - qu'au niveau du contenu. Il y avait inscrit beaucoup de ses expériences passées, de connaissances acquises lors de ses voyages et de le vie hors de cette ville.

Ces pages contenaient plus de vérités que certains des livres qu'il avait lu ici. C'était la source de sa frustration initiale. Beaucoup de clichés et de fausses informations se répandaient dans la cité recluse et presque inaccessible.

Bien heureusement, le ministre n'insista pas davantage. Sans doute avait-il une montagne de travail et un temps très limité - qui avait eu l'idée grotesque de mettre des journées avec si peu d'heures? Vraiment? - qu'il ne pouvait gaspiller avec un serviteur. Ce qui ne dérangea pas le moins du monde Ithier, assez éprouvé par cette rencontre fortuite.

- Merci à vous. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je reste à votre disposition. Bonne journée à vous.

Des banalités, formalités, phrases toutes faites de serviteur. Assorties d'une nouvelle révérence. Son interlocuteur était un noble. Et en tant que tel, il pouvait lui demander les services qu'il voulait. D'autant plus qu'il s'agissait du frère de son employeur.

Quand Lüwen eut disparu, Ithier se remit à ses recherches. Ulric lui avait demander de trouver des informations sur les armes et leur fabrication. Un traité assez complet sur la ferronnerie se cachait non loin de là et le valet le récupéra avant de le lire avec intérêt. Son employeur lui avait également demandé de voir s'il y avait des gravures en métal représentant des objets pouvant être conçu par un forgeron. Le petit brun avait relativement peu de connaissance - voire pas d tout - en ce domaine. Il trouva cependant des gravures dans une partie exposition. N'ayant pas le droit de les emprunter - logique jusque là - il se contenta d'en faire des croquis pour les montrer à Ulric.

L'après-midi passa très rapidement. Ce n'est que quand les lumières vinrent illuminer la pièce que le servant se rendit compte que la nuit tombait à toute vitesse. Le temps qu'il range le désordre et récupère les documents qu'il pouvait ramener à Ulric, plus une once de soleil n'éclairait la ville.

Un frisson d'inquiétude le traversa de part en part alors qu'il s'arrêtait à quelques pas de l'entrée. En général, il n'avait pas peur du noir. Mais il tenait quand même beaucoup à sa tête. Et les rumeurs allaient bon train. Des corps, de tout âge, de tout genre et de tout milieu social.

Mettant son lourd sac sur ses épaules, il se racla la gorge. Bien. De toute façon, Ithier n'allait pas rester là toute la nuit non ? Alors... Autant rentrer au pas de course. Un peu d'exercice après ces quelques heures de travail intellectuel lui ferait du bien...

Trottinant un peu nerveusement, le jeune homme s'engagea dans les ruelles sombres de Draümbell, hésitant sur le chemin à prendre. Le plus rapide passait par des rues étroites et encore plus sombres... Mais l'autre n'assurait pas forcément plus de sécurité. Plus d'éclairage, plus de place, plus de gens aussi... Mais des gens pas forcément très nets. Surtout à cette heure-là.

Alors qu'il s'était arrêté à un carrefour, il entendit des beuglements non loin. Des hommes manifestement bourrés qui chahutaient en s'envoyant des bourrades, des insultes et des hennissements de rire. Ah. Tiens. Pile le genre de gars qu'il appréciait rencontrer en pleine nuit. Ces gens intelligents qui pensent que les valets sont des traîtres et qu'ils devraient partager un peu plus leur fric "volé" aux riches.

Et, malheureusement pour Ithier, il avait la tête de l'emploi. Et les fringues qui faisaient le moine pour une fois. Ils devaient renifler les classes sociales à plusieurs mètres car déjà, ils l'avaient repéré et se dirigeaient vers lui.

Plusieurs choix possibles. Premièrement, fuir. Deuxièmement, se battre. Troisièmement, abdiquer et faire profil bas. Et dernièrement, hurler à l'aide.

Les deux premiers semblaient compliqués. Pas spécialement endurant, pas spécialement rapide et pas spécialement fort. Avec ça... Il était sûr d'être mis au tapis en trente secondes... Hurler alors ? Improbable qu'il obtienne une quelconque aide... Personne ne sortirait pour l'aider... Abdiquer ? Il en était hors de question. Ce qu'il avait de plus précieux était sur lui. Et ces types n'avaient pas l'air du genre à respecter les sources de savoir. A coup sûr, les ouvrages qu'il transportait seraient réduits en miettes. Et ça, c'était inenvisageable.

De plus, il n'avait rien d'autre de précieux. Et ce constat risquait certainement d'énerver la bande au lieu de la calmer. Ses poings se serrèrent et ses sourcils se froncèrent bien... Toutes ses options avaient été savamment démontées. Que faire maintenant...?

Malgré les mensonges qu'il pouvait déceler, Luwen voyait que le serviteur était toujours poli à son égard. De toute façon même si cela n'avait pas été le cas il ne l'aurait pas embêté outre mesure. Et puis lui aussi désirait sans doute profiter des jours de repos. Les serviteurs n'en avaient pas beaucoup il était l'un des mieux placé pour le savoir. Il s'interrogeait soudainement sur la politique qu'avait Ulric avec ses domestiques. Il n'avait jamais fais attention et ne lui avait jamais demandé. Il considérait que la manière de traiter ses employés était très révélatrice. Ce point là concernant son aîné le rendait maintenant curieux. Peut-être demanderait-il la prochaine fois ? Il se le notait mentalement.

Il passa encore plusieurs fois dans les allées pour prendre les livres qu'il lui fallait, dans un sac amené pour l'occasion. Il n'avait pas besoin de quelqu'un pour les lui porter. Un ministre n'avait d'ailleurs aucun problème à emprunter, contrairement à certains. Lüwen désirait sortir pour rentrer chez lui pour étudier les livres. Cependant… Il fût arrêté par le directeur de la bibliothèque qui désirait parler un peu au ministre. Soit, Lüwen abdiqua et il passa finalement une partie de son après-midi avec lui et quelques professeurs éminents vantant un peu l'académie. De la politique et rien de plus. Le point le plus positif était qu'on lui avait servi une pâtisserie -enfin, à tout le monde- mais bon, il faisait déjà nuit quand il mettait les pieds dehors et demain matin… même routine que d'habitude.

Marchant dans les rues pour rejoindre son domicile qui était bien plus loin, le ministre entendit quelques cris, certaines des personnes… en état d'ébriété. Il soupira. Elles n'étaient pas si loin, il avait tourné la tête en leur direction… qui semblait être une personne. Ha. N'était-ce pas Ithier là-bas ? Il fronça les sourcils. Il n'avait pas l'air bien et certainement qu'il ne connaissait pas les types. Sans aucune peur, contrairement à ceux qui n'osaient plus s'aventurer dehors la nuit, le ministre marchait d'un pas assuré vers le serviteur. Il marchait un peu de trois quart par rapport à lui alors il l'appela, ne voulant pas l'effrayé car il ne l'avait certainement pas vu.

«  Ithier ? Vous allez bien ?  »

Cela dit vu sa réaction précédente le ministre n'était pas sûr que sa présence le rassure… c'était bien intéressant, Ithier serait-il plus inquiet à cause des gens saoules qui venaient vers lui ou à cause du ministre… ?

«  Hey regardez-les ! Un pauvre et un riche ensemble !
- Ouai ! Un pauvre et un riche ! Ils ont l'air drôles… !  »

Lüwen haussa un sourcil. Il fit un pas devant Ithier histoire d'être en première ligne. De toute évidence ils ne l'avaient pas reconnu mais… s'ils se montraient violents, il n'aurait aucun d'autre choix d'agir par la force autant pour se protéger que pour que rien n'arrive à Ithier.

Ithier commençait à faire pencher la balance vers la fuite. Aussi, sans bouger la tête, son regard se portait vers les deux chemins qu'il pouvait empruntés pour rentrer chez Ulric. Il ne les connaissait pas assez bien pour savoir comment s'y cacher, mais peut-être que s'il les séparait, il pourrait en semer voire se défendre. Des hommes soûls... Ce n'était pas censé être très mobile, si ? En plus, il entendait des bruits de pas arriver de l'autre côté, ce qui lu couper toute retraite vers la bibliothèque. Il se sentait pris au piège... Ce qui n'est pas forcément bon. La peur risquait de lui faire faire des erreurs.


Puis, une voix plus assurée que celle des gus au loin l'interpella. Sursautant, il lâcha un peu sa position défensive avant de tourner le regard vers celui qu'il avait pris pour un potentiel danger. Et en effet, techniquement, c'en était un. Le Ministre. Mais pas du même accabit que celui en face de lui.


Mais, avant qu'il ne puisse savoir si sa présence était plus dangereuse que celle des poivrots, l'homme se plaça entre eux. Qu'est-c...

- Monsieur le Ministre ?


Ca, ce n'était bon pour personne. Le Ministre risquait de se faire blesser, les hommes de se faire arrêter et lui de se faire accusé de ne pas avoir défendu un haut placé. Et en plus, la position un peu agressive et défensive du noble n'amenait que plus de tension. Tout en laissant paraître que Lüwen se montrait trop proche d'Ithier pour que ce ne soit qu'un simple valet.


Se décidant à agir au plus vite, Ithier afficha un grand - et faux - sourire sur son visage, repassant devant l'homme, face à lui. Bien, il pouvait toujours essayé de profiter de la situation. Certes, il s'agissait d'un noble, mais peut-être que les soulards hésiteraient un peu plus à attaquer deux personnes plutôt qu'une.


- Désolé de vous avoir fait attendre, j'ai ce que vous m'aviez demandé. Vous n'avez pas attendu trop longtemps ?


D'accord, il ne saisissait pas la réaction de Lüwen. Pourquoi se mettre en bouclier comme ça pour un simple serviteur ? C'était inconscient bien que très chevaleresque.


- Il se fait tard, je vais vous raccompagner chez vous.


Sans se départir de son sourire, il indiqua le chemin le plus éclairé de la main en s'inclinant à nouveau. Sa mâchoire crispée, il tentait de ne pas faire attention à l'agacement et aux voix qu'il sentait dans son dos. Il se mettait clairement en danger comme ça.

Dès qu'il se plaça entre Ithier et les potentiels agresseurs, la réaction du serviteur ne se fit pas attendre : il était vraisemblablement surpris. Il est vrai qu'en règle générale, c'était aux domestiques de protéger leur maître. Cependant, dans cette situation, déjà, Lüwen n'était pas son maître, ensuite, il avait l'air plus frêle que lui. Certes notre ministre était loin d'être une armoire à glace mais sous ces vêtements se cachaient des techniques d'arrestation et des muscles qu'il savait utiliser à bon escient. Et puis, en premier lieu, il ne désirait pas que le serviteur d'Ulric se fasse blesser.

C'était peut-être pour cette même raison que le valet s'approcha plus de lui, s'interposant presque. Pourtant les deux hommes n'avaient pas l'air d'être des enfants de coeur. N'avait-il plus peur ou essayait-il lui aussi de le protéger ? Pourquoi voulait-il le protéger, au juste ? Tentant de calmer la situation, Ithier essayait de jouer un rôle et cela aurait pu marcher, en vérité, mais peut-être pas face à ces deux types. L'un se mis à rire de la situation.

«  Un chien d'un noble !  »

Alors qu'il le voyait tenter de frapper le valet, lever le poing, Lüwen saisit le bras d'Ithier pour le tirer derrière lui. L'agresseur ne tenait pas bien debout alors il en profita pour échanger leurs positions. Lâchant rapidement le serviteur en profita pour cette fois saisir le poignet de l'agresseur, l'attirer vers lui et lui mettre un coup dans son genou droit pour qu'il se retrouve à terre, à moitié KO et pas vraiment en état de se relever. Déjà, comment faisait-il pour se mouvoir ? Un mystère que Lüwen ne prendrait pas le temps d'élucider. Il fallait parfois utiliser la bêtise de l'autre à son avantage, ici, l'alcool. Autrement, il n'était pas certain de pouvoir leur faire face. L'autre, digne d'un lâche préférait s'enfuir, laissant son pote ici. Ne voyant pas l'air il se prit les pieds contre un objet sur le sol et s'assomma tout seul sur le sol. Le ministre haussa les épaules : c'était risible.

Bon. Les gardes allaient sans doute les trouver en patrouillant, où alors ils allaient se réveiller en avance et s'enfuir. Sans doute n'oseraient-ils jamais dire qu'ils avaient été battus par un noble et un serviteur. Lüwen se tourna vers Ithier.

«  Vous n'avez rien ? Je pense qu'il est plus sage que je vous raccompagne.  »

Sa deuxième phrase était loin d'être une proposition, il serait bien mieux s'il savait qu'il n'arriverait rien à Ithier. Il ne le montrait pourtant pas, mais c'était bien des sentiments qui se cachaient sous ses valeurs.

Tout se passa très vite. Alors qu'il pensait calmer les choses, une insulte juste derrière lui ricocha en écho sur tous les murs de la rue. Il n'eut pas le temps de réaliser le danger que déjà une main s'aggrippa à son bras et l'écarta de celui-ci. Le valet se retourna juste à temps pour voir le ministre mettre hors d'état de nuir l'un des deux. Il regarda l'autre s'étaler au sol et perdre conscience. Quelle étrange scène. Son cerveau cherchait à analyser la situation, mais c'était compliqué. Point à noter : en plus d'être intelligent, le ministre savait un minimum se battre.

Encore plus dangereux donc.

Ses yeux, inquisiteurs à présent, se posèrent sur son vis-à-vis. Dans un regard pas vraiment digne d'un bon serviteur. Qui était cet homme et pourquoi le défendait-il ainsi?

Ce contact occulaire se brisa quelques secondes plus tard quand Ithier se rendit compte de ce qu'il faisait et baissa les yeux sur le pavé.

- Je vais bien merci. Et vous ? Vous ne vous êtes pas fait mal ?

Le raccompagner ? Le serviteur ne savait as s'il était soulagé ou au contraire plus nerveux à cette annonce. Parce que ce n'était évidemment pas une courtoise demande. Et qu'il ne pouvait pas y échapper.

- Ce serait plus mon rôle de vous raccompagner, Monsieur.

Il reprenait déjà son statut de valet. Et c'était à lui de s'assurer de la sécurité d'un noble. Pas l'inverse.

Le regard que le serviteur lui lançait n'était pas habituel. Loin de là, non, très peu de gens le regardaient ainsi. Pas que ça le dérangeait, pour une fois qu'on le fixait mais… il se demandait toujours ce qui se passait dans la tête d'Ithier. Pour ce qu'il s'était passé à la bibliothèque et maintenant sa volonté de calmer la situation, surtout en se plaçant entre lui et les agresseurs alors que sa posture physique et son regard démontraient clairement qu'il avait décidé de protéger Ithier. Il ne tarda cependant pas à baisser les yeux, regardant cette fois le sol.

Le serviteur lui assurait aller bien. Il savait que ces hommes ne l'avaient pas blessé en revanche il n'avait pas fait attention à la force utilisée pour tirer sur son bras pour le ramener vers lui. Il n'espérait pas lui avoir fait mal. Ithier lui retourna la question pour savoir si le ministre n'avait rien. Ce dernier épousseta par réflexe son pantalon.

«  Non, je n'ai rien.  »

Bien évidemment qu'il le contredisait. Que pouvait-il espéré ? C'était bien pour cela qu'il n'avait pas formuler cela sous forme de demande. Par principe humain, il ne pouvait pas laisser quelqu'un seul la nuit se balade, et pour son frère, il ne désirait pas que son serviteur se fasse blesser.

«  Je suppose que les conventions sont ainsi faites. Néanmoins, je vous raccompagne. Il se fait tard et il y a une probabilité pour que nous rencontrions encore ce genre de personne. Habitez-vous chez mon frère ?  »

Lüwen lui fit un signe de la tête pour qu'il commence à marcher, ils devaient quitter cet endroit pour ne pas attirer l'attention de ces chers hommes saoules, peut-être qu'ils avaient des amis dans le bar d'où ils sortaient alors mieux valait partir.

«  Ma réaction semble vous avoir surpris, Ithier, pourquoi vous êtes-vous interposé ?  »

Dans tous les cas il marchait à côté de lui, ni derrière, ni devant. C'était plus pratique pour discuter.

Un peu rassuré que le ministre ne se soit pas retrouvé blessé à cause de son incapacité à se défendre assez rapidement, Ithier se détendit légèrement. Mais il ne releva pas le regard, sachant très bien qu'il ne pourrait pas cacher la désapprobation et la méfiance qui s'y trouvaient. Alors il se contenta de regarder la main du ministre qui agitait son pantalon pour en chasser une poussière imaginaire. Son vêtement n'était même pas froissé.


Et une fois de plus, l'attitude du noble le stupéfia. Vraiment ? C'était incompréhensible. Certes, le poste de ministre devait nécessiter une certaine humanité - et encore, ça dépendait sûrement de tous, peut-être que Lüwen était l'exception qui confirmait la règle - mais de là à défendre aussi dangereusement un simple Habitant ? Jusqu'à même le raccompagner - un peu de force - jusque chez lui, mettant sa propre vie en danger ? Définitivement, Lüwen sortait du commun. Surtout qu'il savait parfaitement le danger qu'il courait. Mais Ithier n'avait pas le droit de contredire indéfiniment un noble. Et encore moins le frère de son maître. Aussi s'inclina-t-il, tant physiquement que mentalement, mettant de côté son entêtement indigne d'un valet.


- Non, Monsieur. J'habite à quelques rues de chez Monsieur Ulric.


Ulric lui avait proposé une chambre mais Ithier l'avait déclinée. Principalement pour garder son intimité et son indépendance. De plus, c'était plus facile de cacher ses secrets quand on n'habite avec personne. Même si ça présentait sans doute plus de risque. S'il avait habité avec son maître, sans doute que celui-ci se serait étonné de ne pas l'avoir vu revenu à une heure si tardive.


Il se redressa et rajusta les bretelles de son sac avant de se mettre en route, accompagné du l'homme. Mieux valait en effet disparaître de ces lieux. Et qu'ils rejoignent au plus vite leur domicile respectif.


La question suivant du ministre et son attitude - il semblait presque le considérer comme son égal à marcher à ses côtés ainsi, ni dans une position dominante, ni en se mettant en retrait pour mieux le surveiller - le firent réfléchir et garder quelques secondes de trop le silence.


- C'était mon devoir, Monsieur. Je ne voulais pas risquer de vous voir blessé. Un bon serviteur sait où est sa place. Et ce n'est pas derrière la protection d'un noble. Au contraire. De plus, votre position aurait de toute manière déclenché une réaction explosive. J'ai essayé de la désamorcer. Ils auraient perçu comme une menace votre regard et la tension de votre posture.


Ses lèvres se crispèrent légèrement. Ce n'était qu'une théorie bien sûr. Mais les humains, même bourrés, perçoivent ce genre de signaux. Et s'ils ne réfléchissent pas, agissent au quart de tour.


- Je vous présente toutes mes excuses, je n'aurais pas dû vous mettre en danger de la sorte. Et... Merci de m'avoir aidé...

Lüwen savait très bien que le valet n'était pas totalement à l'aise. C'était une évidence qui se lisait sur son visage. Déjà, il avait manqué de se faire agresser mais en plus voilà que le ministre agissait avec lui comme s'il était son égal en quelques sortes. Il n'y avait personne aux alentours Lüwen pouvait agir à peu près normalement. Mais jamais il ne laisserait quelqu'un se faire blesser devant lui peu importe le statut social de la personne. Et étrangement il n'était pas apprécié du peuple. Parce que celui ci ne savait pas qu'il était ce genre de personne. Parce qu'il avait fait le choix de ne pas le montrer à n'importe qui mais qu'il savait très bien que son comportement naturel, surtout celui-ci, il ne pourrait pas le cacher face à une situation d'urgence.

Quoi qu'il en soit le serviteur habitait à quelques rues de chez son frère. Il savait donc à peu près où se rendre et n'était pas perdu dans ces rues. Le ministre se risquait aussi à lui poser une questions bien directe qui aurait pu finalement être presque gênante. Après un blanc qu'il laissait s'installer sans mal, se doutant qu'il devait réfléchir à la question, le valet lui dévoilait donc que pour lui un serviteur devait protéger le noble. Il critiqua aussi la position qu'il avait prise et ne semblait pas forcément penser que ses paroles auraient pu être mal interprétées. Oh bien sur cela n'était pas le cas du ministre mais... Un autre noble... Enfin... Un autre n'aurait pas protégé Ithier et n'aurait pas posé cette question. Du moins dans la majorité des cas. Lüwen ne désirait pas faire de généralités sur cela non plus.

«  Je suis plutôt d'avis que la protection doit être mutuelle. Qui protège quand il est en capacité de le faire. Là j'étais en capacité physique nous protéger tous les deux. Vu leur attitude, ces hommes allaient forcément finir par lever la main, leur comportement était hostile et imprévisible, c'est pour cela que je n'ai voulu prendre aucun risque et me préparer à l'éventualité.  »

S'ils avaient été dix, la réaction du ministre n'aurait pas été la même. A vrai dire la tentative d'autorité -s'ils n'étaient pas bourrés- ou la fuite pur et simple aurait été plus efficace. Cela aurait blessé en partie son égo, mais il savait courir vite.

En finalité, le serviteur s'excusait de ne pas l'avoir protégé, puis le remerciait. Les remerciements étaient toujours appréciables, car cela faisait plaisir. Les excuses moins.

«  Vous ne m'avez pas mis en danger. J'aurai tout à fait pu passer sans vous porter assistance. Mais j'ai décidé moi-même du contraire. Et il est un plaisir d'avoir pu vous aider.  »

La satisfaction de sortir quelqu'un de l'embarra était quelque chose qu'il appréciait, car, il sentait que d'autres avaient besoin de lui mais aussi qu'il était utile avec une sorte de proximité que son statut de ministre ne pouvait lui accorder.

«  Je pense que ceux qui disent que l'on doit les protéger spécifiquement car ils sont nobles ne méritent aucune protection.  »

L'égalité était une valeur qui était bien difficile à faire passer ici…

A vrai dire, il ne prêtait aucune attention à la réputation des gens. Il savait à quel point c'était trompeur. Aussi se fiait-il à son expérience et son instinct. Et son instinct lui disait que, même si Lüwen semblait assez unique dans le monde des aristocrates, son intelligence était trop grande. Ça le mettait en danger.


Heureusement, ils avançaient à bon pas et bien vite, ils se trouvèrent à proximité de son appartement. Ne tenant pas spécialement à donner son adresse précise, le valet s'arrêta à une ou deux ruelles d'écart. Il se tourna vers le noble, sans le regarder.


- Vous avez certainement raison alors.


Le serviteur s'inclina à nouveau en face de Lüwen. Il n'était pas du même avis, mais ce n'était pas dans ses droits de tenir tête à un haut placé. Et quoi qu'en pense l'homme, ce monde était régi par des lois et des privilèges qu'Ihier ne pouvait pas nier et outrepasser. Le monde était ainsi et les choses ne semblaient pas sur le point de changer.


- Merci de m'avoir raccompagné, Monsieur. Peut-être qu'il serait plus prudent que vous passiez chez Monsieur Ulric pour rentrer en toute sécurité. Je vous souhaite une bonne soirée, à... Une prochaine fois...


Et, dans une attitude assez contre son rang, il tourna le dos à Lüwen et s'éloigna. Sans attendre d'être congédié, il parcourut la ruelle et retourna dans son logement. Ses yeux nerveux ne cessaient de parcourir les environs pour vérifier que personne ne le suivait.