Halte à la mascarade

Pour la première fois depuis aussi longtemps qu’il s’en souvienne, Axel avait été forcé de mettre un petit hola et de ralentir ses activités. Toutes ses activités. Quand il avait commencer à tousser, quelques jours plus tôt, il avait évidemment eut le même réflexe que tout le monde : consulter un médecin pour vérifier qu’il n’était pas atteint de cet étrange mal qu’il voyait chez tout le monde. On lui avait assurer que non et il avait voulu y croire, suivant les prescription de son médecin tout en s’aidant un peu de ses propres remèdes. Mais le temps passer et la toux ne s’améliorait pas. C’était même plutôt l’inverse. Même s’il n’avait pour l’instant pas grand-chose d’autre à part de gros coups de fatigue, il préférait jouer de prudence.

Fini les excursions dans les souterrain, il se contentait de rester la plupart du temps à s’occuper de sa boutique – ce qui ne lui demandait qu’un effort modéré – et à gérer de loin le reste de la contrebande. S’il était vraiment atteint, il allait de toute façon réduire ses visite dans leur petit repère souterrain, il était hors de questions qu’il contamine ses amis. Le rouquin avait en plus tout ce qu’il fallait pour prendre soin de lui à l’Inflorescence tout comme il avait une petite pièce pour y dormir si jamais il était trop fatigué le soir pour retourner chez lui. William venait prendre de ses nouvelles régulièrement, sous le couvert de venir lui acheter chaque fois une petite chose qu’il aurait oublier, ce qui faisait sourire le rouquin plus qu’autre chose. Sous ses airs de vieux grincheux et d’ancien chercheur un peu froid, son père adoptif cachait difficilement son cœur d’or.

Ce dernier, visiblement soucieux de lui faire penser à autre chose, lui avait d’ailleurs fait parvenir une invitation à un bal qui devait avoir lieu le soir même. Une petite cérémonie organisée par une famille de moyenne noblesse qui souhaiter visiblement fêter un quelconque mariage. Évidemment, tout le gratin habituel avait été convié, aristocrates divers, nobles et marchands renommés, érudits de toutes catégories… L’herboriste avait d’abord pensé à refuser la proposition, mais il avait fini par céder sous l’acharnement bienveillant de ce cher William, qui serait de toute façon aussi de la partie. Et puis, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas montré sa bouille dans ce genre de mondanité et il aurait été dommage de se faire oublier trop longtemps… Après tout, il était un des investissement les plus lucratif et prometteur de William pour la totalité de la ville, il devait se montrer à la hauteur de l’honneur qui lui était fait.

Il s’était donc rendu à la fête qui battait son plein. La famille hôte n’avait pas fait les choses à moitié, réservant la salle de bal pour une nuit entière et une chose chose était imposée aux invité : il s’agissait d’une cérémonie masquée. Qu’à cela ne tienne. Le rouquin avait remis au goût du jour une de ses ancienne tenue fétiche un ensemble de pantalon et chemises noires aux boutons argentés, avec une élégante veste de velours cintrée à la taille qui retombaient jusqu’à mi cuisse dans une géométrie triangulaire affinant encore un peu plus sa silhouette. Les doublure, d’un rouge bordeaux, s’accordaient parfaitement avec ses cheveux, attachés pour l’occasion. Le masque qu’il portait, qui ne laissait voir qu’une partie de son menton et ses yeux et lui recouvrait le reste du visage, arborait les mêmes teintes dans un amas de rouages prenant la forme d’une fleur de lys ouvragée et de quelques plumes décorative. Il aurait pu se sentir ridicule en d’autre circonstance, mais il avait appris que lorsqu’on se trouvait au milieu des nobles, il ne valait mieux ne pas trop s’attarder sur sa tenue.

Et ces derniers lui donnèrent raison lorsqu’il mit les pieds dans la salle de bal. Il n’y avait là qu’un amas difforme de tissus tous plus colorés les uns que les autres, de froufrous tourbillonnant au rythme de l’orchestre et de paillette en tout sens, le faisant presque passé inaperçu au milieu de tout ça – mais c’était bien fait exprès de sa part. Il prit le soin d’aller saluer quelques connaissances en arrivant – dont William – et de faire un petit tour de salle pour voir qui était présent. Quelques aristocrates renommés avaient fait le déplacement, ce qui était toujours bon signe pour les futurs mariés, mais en soit, rien de bien exceptionnels non plus. Une soirée mondaine des plus banale.

Le regard du rouquin finit par s’arrêter sur la silhouette d’une jeune femme un peu à part de la foule et qui semblait observer la scène, perdue dans ses pensées. Intrigué, il ‘en approcha, naviguant avec habileté entre les convives, toussant parfois discrètement dans sa manche quand la toux était trop difficile à réprimer. Quand il arriva à sa hauteur, il l’accosta avec un sourire charmant autant que charmeur, à moitié dissimulé derrière le masque et lui tendit une main aimable. Son visage et son allure, malgré le masque, ne lui disait rien.

« Ma Dame, me feriez-vous l’honneur d’une danse ? Je serais bien attristé de vous laissez vous ennuyer plus longtemps. »

La jeune femme qu’il aborda sembla surprise de son arrivée et lui rendit un regard auquel il ne chercha pas à échapper, la laissant l’observer sans la moindre gêne. Elle dénotait de manière aussi amusante qu’étrange dans cette foule bigarrée et froufroutante, dans une tenue d’une simplicité presque apaisante pour le regard sans pour autant être dénué de charme. Elle finit néanmoins par lui sourire dans un haussement d’épaule qui ne put qu’amuser l’herboriste avant d’appuyer son trait d’humour d’un petit rire qui tira un sourire un peu plus grand au rouquin.

« Ou peut-être ai-je l’œil pour repérer les dames en détresse ? » Lui répondit-il d’un ton égal avant d’effectuer une courbette empreinte de grâce autant que d’ironie tout en l’invitant à venir danser. Une action qu’il se permit, pensant que la demoiselle n’était pas très attachée  aux coutumes de La Haute au vu de sa tenue et de son habitude. Ce qui n’était pas pour lui déplaire. Se plier au manière était un jeu qui l’épuisait un peu plus à chaque fois, même si certaines personnes savaient rendre l’exercice plaisant. Il continua avec ce même humour d’une voix légère. « Et ne vous en faites pas, mes pieds ont connu bien pire partenaire que vous, j’en suis certain. »

La main délicate dans la sienne, il entraîna sa partenaire de dans près du terrain de jeu principal des couples en pleine exercice de valse. Il se faufila avec elle dans un endroit où il restait un peu de place pour se mouvoir sans être écrasé par les lourdes robes de leur voisin et, après une élégante révérence, vint poser sa main droite sur sa hanche – à hauteur tout à fait respectable – et l’entraîna dans quelques pas de danses simples pour s’échauffer.

Axel constata rapidement que la demoiselle ne lui avait en effet pas menti. Si ses mouvements n’étaient pas complètement gauches, le rythme de ses pas se décalaient régulièrement ou ne partaient pas toujours dans la bonne direction. Mais le rouquin était plein de ressources, et joueur. S’il essaya de compenser ce qu’il prit pour un manque d’expérience les premières minutes, il se mit bien vite à jouer des maladresses de sa partenaire du soir, venant parfois amplifier ses écarts sans en avoir l’air. Une ou deux fois, leur étrange couple vint même percuter du coin du coude et de manière faussement involontaire certains de leur voisin. Il s’en tirait avec un « désolé » et un sourire gauche qui se transformait en un petit rire complice une fois loin de l’oreille indiscrète.

« Vous voyez, vous n’êtes pas si mauvaise danseuse que vous le pensiez. Peut-être devrions nous lancer une nouvelle mode ? »

Comme le rouquin l’avait visiblement bien deviné, son petit jeu d’aller enquiquiner les autres danseurs amusa beaucoup la jeune femme qui lui servant de partenaire de crime momentanée. Son sourire faisait briller ses yeux d’un éclat d’amusement sincère, tout comme les petites rires qu’elle laissait parfois échapper. Une bonne humeur contagieuse qui égaya très agréablement l’herboriste et qui se reflétait tout autant sur son propre visage. Cette soirée ne s’annonçait finalement pas si ennuyeuse qu’il aurait pu le penser au premier abord… Et ce n’était sûrement pas lui qui allait s’en plaindre. Les personnes autour d’eux, par contre…

« La danse est un art comme un autre… Qui sommes-nous pour juger notre propre performances ?  »

Il avait répondu à l’humour de la jeune femme d’un ton égal tandis que, malgré le cercle un peu vide qui avait fini par se créer autour des deux danseurs du dimanche, il arrivait encore à venir écrasé un pied qui tira un cri étouffé autant que choqué à une autre dame qui s’écarta bien vite de leur chemin. Il lui fit un énième sourire confus accompagné d’un hochement de tête qui fit voleter les plumes de son masque avant de repartir vers d’autres victimes insouciantes.

Mais la musique finit par s’arrêter, mettant ainsi fin à ces quelques minutes hautement intensives d’effort et de rire. Comme les autres hommes présents dans le petit carré de danse, Axel s’inclina avec grâce pour remercier sa compagne de ces quelques moments après qu’elle eut retirer ses mains.

« Je serais honoré que vous me montriez ce pas extraordinaire… Mais ma foi… Je ne pense pas que nos charmants compagnons autour de nous soit du même avis que vous et moi. »

Presque tous les danseurs leur jetait des regard, plus ou moins discrets et appuyés et plus ou moins sympathique. Moult jurons devaient sans doute traverser l’esprit de ces braves gens sans qu’aucun d’entre eux n’ose jamais en prononcer un seul. C’était bien dommage, les nobles étaient souvent… Amusant dans l’originalité de leurs insultes. A chaque fois, Axel arrivait à enrichir son vocabulaire de nouveau mots.
Il tendis son bras à la charmante dame en sa compagnie.

« Puis-je vous proposer un verre en balcon après cet exercice ? Un peu d’air et de silence ne serait certainement pas de refus. »

La Dame accepta avec ce même sourire son invitation à aller prendre l’air. Et, après un arrêt auprès d’un serveur où ils prirent tout deux un savant petit mélange de fruits dénué d’alcool. Cela ne dérangeait pas le rouquin en général, mais en homme raisonnable et avec ses petits problèmes de santé actuel, il évitait les excès au maximum. Et puis, ils étaient de toute façon tout aussi bon que les mélanges alcoolisés, si ce n’était meilleur car non dénaturé par le goût de ces breuvages fermentés. Après s’être discrètement raclé la gorge en profitant du bruit ambiant, l’herboriste conduisit donc sa charmante compagne du soir jusqu’à une petite sortie donnant sur un balcon qui permettait d’observer la vue d’une petite partie de la ville haute, ce qui n’était jamais désagréable non plus.
Axel trinqua avec elle sans se départir de son sourire, hochant aussi respectueusement que simplement la tête aux paroles de son invitée.

« A la votre également, Ma Dame. »

Il but une petite gorgée de son verre, profitant de la fraîcheur de la chose qui apaisa temporairement l’irritation douloureuses de son gosier. Il comptait bien en profiter un maximum. L’air frais, froid même qui battait le balcon lui faisait aussi du bien, même si cela ne durerait pas. Mais après la chaleur étouffante de la fête à l’intérieur couplé au masque sur son visage lui donnait la sensation de mourir de chaud à chaque instant. Il transpirait un peu sous le masque d’ailleurs, même si cela ne se voyait pas et qu’il se demandait si cela été dû à la chaleur ou à une petite poussée de fièvre comme il avait pu en faire. Mais il ne s’inquiétait pas outre mesure, il aurait bien le temps de se reposer après la fin de cette soirée.

« J’ose espérer que je fut un chevalier assez correct pour repousser au loin votre ennui le temps de ces quelques minutes. »

Contrairement à ce qu’aurait voulu les normes de bienséances, il ne lui demanda pas son nom tout comme il n’offrit pas le sien en guise de présentation. N’était-ce pas tout le petit jeu derrière cette soirée masquée, après tout ? Même s’il l’offrirait volontiers si son interlocutrice venait à lui demander… Mais elle semblait elle aussi vouloir jouer ce petit jeu de l’anonymat jusqu’au bout, ce qui n’était pas pour lui déplaire.

« Alors c’est un honneur de vous avoir porté secours, Milady. »

A la réponse de la dame, Axel pencha humblement le buste en un geste de respect amusé avant de s’accouder tranquillement à la balustrade. Il laissa son regard balayer un instant la ville haute, perdu dans la même contemplation que sa voisine dans un silence qui n’eut l’air de gêner aucun des deux danseurs. Du moins, jusqu’à ce que la Dame ne sorte soudainement un petit papier de sa poche… Pour se mettre à dessiner.

Avec curiosité, le rouquin suivit le regard de la jeune femme pour apercevoir le petit oiseau qui avait visiblement attiré son attention tout en observant celle-ci à son œuvre. Malgré le masque, il émanait de son regard cette forme de concentration que tous les créateurs peuvent avoir face à une inspiration soudaine et déchaînée. Axel ne retint pas un léger sourire en coin devant autant d’application autant qu’au vœu innocent qu’elle prononça pour ce pauvre oiseau. Malheureusement… ce dernier n’était visiblement pas dans un jour photogénique et décida de décoller plutôt que de se laisser sagement dessiné.

Quand la Dame lui tendit le croquis avec un immense sourire, l’herboriste observa attentivement la petite ébauche – s’il avait observa la créatrice pendant son travail, il lui avait laissé l’intimité du dessin dont on parfois besoin certaines personnes pour travailler dans les meilleurs conditions. Le croquis était inachevé – ce pauvre oiseau ne savait pas ce qu’il manquait – et pourtant, l’esquisse était déjà bien détaillée et travaillée pour le temps qu’elle avait eu pour la réaliser… Du moins, à ses yeux de néophyte. Il pouvait juger la beauté d’une plante, d’un bouquet, ou même d’une préparation médicale mais le dessin… Était un art qu’il était loin de maîtriser. Sauf peut-être pour dessiner des plans, mais les deux domaines étaient pour lui bien différents.

« Soyez sûre que j’en prendrais grand soin. »

Axel l’observa encore quelque instant avant de plier très précautionneusement le papier, suivant les pliures déjà présentes pour ne pas abîmer plus la feuille avant de la ranger dans une poche intérieur de son costume. Ses yeux verts se reposèrent sur sa voisine, pétillant d’une curiosité nouvelle. Il ne mentait pas sur le sort qu’il réservait à ce petit dessin et savait déjà où ce dernier allait finir. T ça ne serait certainement pas à la poubelle.

« Je trouve votre coup de crayon des plus charmants. Vous exercez-vous depuis longtemps? »

Cela aurait été quelqu’un d’autre, il aurait pu lui demander son nom d’artiste, se renseigner sur ses œuvres déjà crées pour essayer de trouver qui pouvait se cacher derrière ce mystérieux loup, mais le rouquin était simplement… Enchanté de la chose et la curiosité était toujours quelque chose qu’il avait du mal à retenir.